Si on commence par poser la question : qui de l'économie ou du droit est au service de l'autre ? on pourrait dire sans trop de certitude que le droit est au service de l'économie. La règle est que toute situation mettant en présence des personnes ou des biens est régie soit par des normes spécifiques (lorsqu'elles existent), soit par les prescriptions du droit commun. Il n'y a pas pour ainsi dire de vide juridique sauf cas exceptionnel. Cependant, le problème se pose lorsqu'une activité, un produit ou un instrument se propagent et se diffusent dans le public sans que le législateur n'éprouve le besoin d'intervenir pour les normaliser même à posteriori alors que les utilisateurs sont confrontés à une absence de repère doctrinal ou jurisprudentiel. Ce serait trop simple si à partir de cette assertion, on conclut rapidement que la réalité économique contredit la pratique juridique et vice-versa. Et pourtant, en Algérie, c'et souvent le cas. A trop vouloir bien faire, on cible l'ineffectif. Et c'est ainsi qu'on se retrouve dans le domaine de la finance avec des textes de lois sans prise sur la réalité, soit parce que cette dernière n'est pas assez mouvante pour les faire prospérer soit que la règle juridique, c'est-à-dire l'instrument ou le produit sont simplement projetés dans un futur incertain. Dans les deux cas, on aboutit au même résultat. Le factoring prévu par le code de commerce depuis 1993 n'a toujours pas trouvé forme pour venir au secours des entreprises qui sont dans une impasse de trésorerie en raison des longs délais de paiement qu'elles subissent et les contraintes liées au recouvrement des créances. La loi relative aux assurances promulguée en 2006 a bien prévu dans ses dispositions la possibilité pour les assurés de pouvoir souscrire des contrats d'assurance-vie, mais lorsqu'on connaît les appréhensions que soulèvent ce genre de contrat auprès de la population, on reste sceptique sur son développement, et dire que dans les pays occidentaux, l'assurance-vie tire tout le reste. Autre société, autres mœurs. D'autres textes peuvent être cités à l'image de l'ordonnance de 1996 relative aux organismes de placement communs de valeurs mobilières (OPCVM) promulguée pour booster la bourse et qui se retrouve dix ans après au point de départ, c'est-à-dire sans effet sur la réalité. La place n'a pas vu fleurir les OPCVM que ce soit les SICAV (société d'investissement à capital variable) ou les FCP (fonds commun de placement). D'autres dispositions très intéressantes et avant-gardistes n'ont pas été exploitées et sont restées lettre morte. La technique de la fiducie ou ce que les juristes appellent le patrimoine d'affectation a bien été introduite dans notre droit positif sous deux formes différentes mais sans lendemain. La première par les lois d'autonomie de 1988 lorsqu'il s'est agi de créer les fonds de participation et la deuxième par la loi 90-10 abrogée relative à la monnaie et au crédit et reprise par l'ordonnance 03-11 du 26 août 2003 du même objet. En effet, pour séparer l'Etat gestionnaire ou propriétaire de l'Etat puissance publique et inscrire l'autonomie des entreprises publiques dans le droit, les concepteurs des réformes économiques ont innové grâce à un mécanisme juridique original qui validait le passage et la dévolution du patrimoine des entreprises, propriété de l'Etat vers les fonds de participation en introduisant imparfaitement la notion de patrimoine d'affectation, c'est-à-dire l'institution de la fiducie calquée sur le concept anglo-saxon du "trust" lui-même empruntée au "waqf"du droit musulman. Beaucoup de problèmes d'ordre comptable et fiscal sont apparus par la suite et n'ont jamais été traités de la même manière parce qu'il n'y avait pas de cadre légal approprié pour la fiducie ou si l'on veut les opérations fiduciaires. S'agissant de la législation bancaire, il convient de signaler qu'elle contient des dispositions tout à fait en adéquation avec les impératifs de la fiducie. Mais là aussi, ces dispositions n'ont pas intéressé grand-monde. Autre exemple, la technique des prêts participatifs bien que insérée dans la loi bancaire n'a pas à ce jour conduit à une mesure d'encadrement pour faciliter son utilisation par les opérateurs. La réalité économique se heurte à contrario à l'absence d'initiative pour faire fructifier et surtout faire réintégrer dans le circuit formel la masse de liquidités qui circule et s'échange par tradition sans passer par les canaux officiels. Les opportunités de placement qui cadrent avec les convictions des fortunés ne sont pas restituées pour créer des incitations à l'épargne. Il faut de l'imagination pour faire bouger les choses dans l'intérêt de l'économie. La plupart des textes pris en matière financière ont certes innové en introduisant de nouvelles techniques, mais souvent ces techniques qui sont très utilisées ailleurs ne trouvent pas ici un point d'appui pour se diffuser dans l'économie. Ce qui pose le problème de l'adaptation de ces règles au contexte local et l'environnement juridique national qui n'est pas toujours permissif parce que les relations entre opérateurs ne sont pas normées.