Durant la première quinzaine de juillet, nous avons ratissé un bon segment de notre littoral pour dresser un peu un état des lieux de l'industrie touristique nationale à partir d'une région ô combien sollicitée pour son potentiel de plaisance : Béjaïa. 11 millions d'estivants en 2006, c'est vous dire. D'aucuns feront remarquer que « durant les Années Rouges, Béjaïa a été relativement épargnée, ce qui a favorisé l'émergence de l'industrie touristique dans cette région ». Aujourd'hui, hôteliers, voyagistes, agences de tourisme, tout comme les pouvoirs publics s'avouent quelque peu « dépassés » par toute cette affluence, si bien que la ville de Yemma Gouraya apparaît comme « victime de son succès ». Noureddine Haddad, directeur du tourisme de la wilaya de Béjaïa, n'est pas loin de partager ce diagnostic : « Nous subissons la saison estivale davantage que nous ne la concevons », dit-il d'emblée. Et d'expliquer : « 14 wilayas côtières accueillent 30 millions d'Algériens. Tous les Algériens veulent aller à la plage. C'est légitime. Mais cela en fait du coup un rendez-vous chaotique qui génère des dysfonctionnements, car une telle affluence, il lui faut des services, des routes, des parkings, tout une organisation. » Au niveau « macro », il faut dire que la façon dont est « pensée » l'industrie touristique ne peut que produire du « tourisme frittes omelette » comme dirait Amine, un observateur impertinent, natif de la région. Un pays où l'on ne peut pas même s'offrir du poisson ne peut prétendre à concurrencer la dernière station balnéaire en Méditerranée. Zéro pointé question services. Aucun hôtel ne dispose par exemple d'un service monétique ou du réseau wifi. « Il faut du coaching international pour acquérir un savoir-faire, sinon cela ne marchera jamais », assène Khoudir, un cadre algérien installé au Canada. Appliquant aux Algériens la « Pyramide de Maslow », il fera observer que le besoin touristique et de loisirs intervient après la satisfaction du besoin alimentaire et sécuritaire. Toujours est-il que nos villes solaires sont lugubres aux quatre saisons. En témoigne la « pollution visuelle » d'une localité comme Melbou ou Tichy. « Nous affrontons la saison estivale avec les mêmes moyens que le restant de l'année. A titre d'exemple, en temps normal, la commune produit 9 tonnes d'ordures ménagères par jour. Ce chiffre est multiplié par dix en été », fait remarquer Mouloud Mersel, cadre à la commune de Tichy, pour expliquer l'une des raisons de cette « laideur structurelle ». Loin des transats langoureux, des peaux hâlées et des embruns capiteux, « il n'y a pas vraiment de valeur ajoutée touristique », estime un client. « Il faut en finir avec le pack "serviette, steak frites et raï robotique" », ajoute-t-il. Au premier chef, l'urgence est d'augmenter la capacité d'accueil. « Nous recevons 100 000 résidents et 100 000 baigneurs entre le 15 juillet et le 15 août », dit M. Haddad. Il invoque l'insuffisance des établissements balnéaires existants qui sont de 19 sur un total de 68, avec 1600 lits sur tout le littoral. « Sur l'ensemble du parc hôtelier, seule une quinzaine sont globalement corrects. Les autres doivent se conformer à la réglementation. Nous avons dû fermer sept et nous venons d'en fermer trois », précise notre interlocuteur en soulignant, au passage, un cruel manque de moyens. « Je n'ai que deux inspecteurs », regrette le responsable. Analysant l'impact de l'industrie touristique sur l'économie locale, il dira : « Jusqu'à présent, on n'a pas vu une réelle incidence de cette affluence en terme de prospérité. » Il relève un manque d'imagination de la part de force opérateurs qui ne mettent guère à profit l'artisanat ou la gastronomie locale. « On vous proposera toujours des bananes mais vous ne trouverez pas de figues alors que nous sommes en Kabylie », ironise-t-il. Pour lui, il est impératif de développer le tourisme sédentaire, même si le tourisme de masse continuera à exister. « Il faut vendre des séjours plutôt que de se limiter à un tourisme journalier », préconise le directeur du tourisme. Le mal suprême qui casse l'industrie touristique et l'empêche d'émerger, relève notre interlocuteur, « c'est le spectre de la saisonnalité. » L'économie touristique, insiste-t-il, doit aller vers la diversification de ses produits. « Il est aberrant pour un pays gorgé de soleil comme le nôtre de ne travailler que 100 jours par an », dit-il. Selon lui, il y a moyen de rentabiliser la basse saison autrement que par le « tourisme sexuel » qui s'accomoderait bien de maisons closes pour rendre son honneur à l'activité hôtelière ». Il propose d'exploiter toute la gamme des nombreux sites attractifs de la région. La clé, suggère-t-il, c'est le développement global, intégré, du secteur et une professionnalisation de l'activité, en passant par l'adoption d'instruments urbanistiques en adéquation avec le statut de la région comme pole touristique d'excellence. « A ce titre, et c'est une première, nous nous sommes dotés d'un PDAU (plan directeur d'architecture et d'urbanisme) en conformité avec la vocation touristique que nous nous sommes assignée. » Une mesure qui, espérons-nous, pourrait enfin donner à la féerique côte béjaouie le cadre urbain qu'elle mérite, afin, comme dit M. Haddad, de « créer un environnement propice au tourisme ».