Les commentaires de la presse turque hier sur les élections législatives anticipées, qui se tiendront aujourd'hui, étaient abondants, mais surtout durs et critiques. Turquie : De notre envoyé spécial Chaque titre, suivant sa ligne éditoriale et ses convictions, sort le grand jeu pour dire que l'autre est mauvais. Privés ou partisans, ils sont nombreux à insister sur la fortune douteuse de la famille de Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre et principal dirigeant et fondateur d'AKP, et à l'accuser d'être à la solde de l'impérialisme américain. C'est ainsi qu'à la une, en gros caractères, le journal du MHP (mouvement nationaliste de l'extrême droite), Yeniçag, reproche à AKP son rapprochement du Parti du Kurdistan libre (reconnu comme organisation terroriste, notamment par les USA). Ce journal, qui défend bec et ongles la chasteté de MHP, a quitté les bancs du pouvoir depuis de longues années. Ce journal publie également des photos de gens du AKP en train de distribuer des prospectus de candidats du parti à la fin de la prière de vendredi, devant la mosquée Kocatepe, la plus grande d'Ankara, comme pour dire qu'il a enfreint la Constitution qui consacre la séparation du politique du religieux. Invitant les électeurs à voter contre les « ennemis » de la Turquie (allusion faite à AKP), Yeniçag souligne qu'Erdogan « n'a jamais prononcé le mot : je suis turc », cher au fondateur de la République laïque, Mustafa Kemal Atatürk. « Pour Erdogan, les Turcs constituent une ethnie en Turquie. » Il ajoutera sur un ton menaçant : « Si vous ne voulez pas que la Turquie devienne la Yougoslavie, éteignez la lumière. » Allusion au symbole d'AKP qui est l'ampoule. Le journal a énuméré tout ce qu'Erdogan a acheté « avec l'argent du peuple ». Des photos de villas, de montres en diamant sur la main de sa femme et des yachts… ont été étalées sur une page. Pour Hürriyet (liberté), libéral indépendant, Erdogan « a vendu tout le pays », regrettant que les Turcs vont voter pour lui malgré tout et non pas parce qu'ils sont séduits par son discours, mais plutôt parce que la plupart d'entre eux sont des « illettrés ». « Il n'y pas de gens instruits qui votent pour AKP », indique le commentateur du journal, Bekir Coskun. De son côté, le journal Cumhuriyet, républicain, s'interroge sur la fiabilité des sondages donnant AKP comme grand favori de ces élections avec plus de 50% d'intention, représentant quelque chose comme 20 millions de voix sur les 40 millions de votants. « Comment ça se fait que 91% des gens ne soutiennent pas les USA, et AKP, marionnette des Américains, soit crédité d'un tel pourcentage ? La Turquie va devenir folle demain » (aujourd'hui, ndlr), écrit le journaliste Ilhan Selçuk. Milli Gazete des islamistes radicaux appelle carrément les Turcs à ne pas donner leur voix aux gens soutenus par l'UE et les USA. Indirectement, il visait AKP qui est en bonne harmonie avec l'Occident. Le journaliste précise en bas du texte qu'un tel appel ne veut nullement dire que le journal est contre les Américains et les Européens, mais seulement qu'il y a d'autres objectifs et d'autres urgences pour la Turquie. « Le 22 juillet, c'est le jour où la Turquie verra si les nationaux qui gagneront ou les internationaux », ajoute le même journal. Vatik, le plus grand journal des islamistes radicaux, tire, quant à lui, sur le président du MHP (Devlet Bahçeli) et celui du CHP (Deniz Baykal). Dans une caricature (une tête d'homme avec une mèche allumée) en une, il illustre les risques de dérapage au lendemain du 22 juillet. Hüseyin Üzmez, éditorialiste au Vatik, répond au CHP en considérant qu'il a insulté le peuple turc en disant que « ceux qui votent pour AKP sont des illettrés ». Il dit que l'idée du CHP selon laquelle il faudrait que la minorité élitiste décide à la place de la majorité ignorante est « saugrenue et grave », rappelant au passage que lorsque le CHP était pouvoir, le peuple mourait de faim. Le journal se déclare ainsi publiquement pour AKP et estime qu'il s'agit là d'une bataille entre « Noirs et Blancs » (islamistes et laïcs). Le journal Radikal, le plus indépendant en Turquie, résume ce qui se passe actuellement dans le pays dans une caricature sous forme d'un cheval qui porte les différents signes et symboles des partis en lice, disant en bas qu'ils sont « tous pareils ».