Le président du tribunal de Boumerdès, Redouane Benabdallah, qui a eu à diriger le procès du séisme de mai 2003, rendra son verdict mardi prochain. Boumerdès. De notre bureau Ainsi en a-t-il décidé avant-hier à l'issue des plaidoiries qui se sont poursuivies jusqu'à une heure tardive. Il s'est accordé une semaine pour réexaminer tous les points soulevés lors des interrogatoires et des plaidoiries ainsi que d'autres « pièces à conviction » fournies par les différentes parties. Une semaine qui portera à plus d'un mois la durée de ce procès historique, parce que premier en son genre, si l'on compte le report des assises, de 7 jours, le 25 juin dernier, à la demande de la défense. Trente-sept sur les 38 accusés cités dans l'arrêt de renvoi ont répondu à la convocation du juge (un est déclaré « en fuite »). Dans ce procès où les prévenus devaient tous répondre des chefs d'accusation d'« homicide involontaire, de blessures involontaires, de fraude dans la qualité et la quantité et du non-respect des normes et de la réglementation », le professionnalisme et le sens de la justice dont ont fait preuve le procureur de la République et le juge sont confrontés aux limites infranchissables de l'arrêt de renvoi. La mission de ce dernier est d'autant plus délicate qu'il devra confronter les enquêtes de la police judiciaire et l'instruction à ce qui a été dit dans le tribunal pour prendre sa décision. A rappeler ici que le procureur de la République a requis des peines d'emprisonnement de 2 à 3 ans assorties de 10 millions de centimes d'amende à l'encontre de 35 accusés. Pourtant, le premier juge chargé d'instruire ce dossier avait prononcé un non-lieu à trois reprises. Et la défense n'a pas manqué d'inclure cet « argument » dans ses actes de défense pour signifier à la justice que « ce procès ne devrait pas avoir lieu ». Ce n'est pas que les responsabilités, si responsabilités il y a, ne devraient pas être établies, mais c'est parce que « les véritables personnes à inculper dans l'effondrement des bâtisses lors de la catastrophe de 2003 ne sont pas citées dans l'arrêt de renvoi ». « Les vrais responsables de ce qui s'est passé ne sont pas dans cette salle », disaient les avocats durant tout le temps qu'a duré le procès, citant le laboratoire national de l'habitat et de la construction qui fait les analyses du sol, les parties de l'administration locale qui se chargent du choix des terrains à bâtir, les douanes algériennes qui ont laissé passer sur le marché national des matériaux de mauvaise qualité, dont le ciment et le fer de mauvaise qualité jugés comme des facteurs aggravants dans beaucoup de cas d'effondrement. Les avocats ont nommément cité le ministère de l'Habitat et le ministère du Commerce comme « les véritables responsables des dégâts enregistrés ». Pour éviter d'être poursuivi en justice pour sa lourde responsabilité dans cela, l'Etat, à travers le ministère de l'Habitat qui a déposé plainte, a pris de vitesse les citoyens et les différents intervenants dans l'acte de bâtir en saisissant la justice quelques semaines seulement après la catastrophe. Ainsi l'EPLF, par exemple, qui devait chercher à situer les responsabilités dans ce qui est arrivé à ses bâtiments s'est retrouvée dans le banc des accusés. « Pourquoi poursuit-on son directeur pour fraude dans la qualité et la quantité et non-respect des règlements, elle qui est logiquement la première victime de ces pratiques imputables aux intervenants avec lesquels elle conclut des contrats ? », s'interroge-t-on. « Pourquoi l'ex-directeur général de l'OPGI comparaît pour ces mêmes chefs d'inculpation, lorsque l'on sait que cet office n'est, par sa nature juridique, que le maître de l'ouvrage délégué ? », se demande-t-on encore. « Pourquoi ces deux premiers responsables (de l'EPLF et de l'OPGI) d'un côté et seulement les exécutants (ingénieurs et techniciens) du CTC d'un autre ? Pourquoi avoir restreint le procès à 13 sites lorsqu'on sait que le séisme du 21 mai 2003 a touché la quasi-totalité de la wilaya de Boumerdès et presque tout l'est d'Alger ? », sont autant de questions qui se posent dans le débat sur la « justice » de ce procès. Dans les 13 sites concernés par ce procès, il y a eu quelque 300 victimes et tout le monde sait que le séisme de Boumerdès a fait plus de 2300 morts et plus de 11 000 blessés. Dans toute la commune de Boumerdès, un seul promoteur est jugé pour l'effondrement d'un bâtiment. Se prémunir à l'avenir Il y a eu des erreurs humaines certes, mais devant l'ampleur de la catastrophe celles-ci se situent au deuxième plan, car l'objectif de ce procès devrait être celui de façonner une nouvelle vision de la construction dans la zone sismique de notre pays. Pour se prémunir à l'avenir. Si à chaque fois qu'il y a un séisme avec des dégâts importants, et les séismes il y en aura, ceci étant une certitude scientifique comme dirait le professeur Chelghoum, on appelle en justice tous les intervenants de l'acte de bâtir, il faut bien s'attendre à juger tous les Algériens, car même aujourd'hui l'Algérie ne s'est pas encore dotée d'un code de la construction. Elle n'a pas encore un conseil scientifique qui établisse les normes tout en étudiant avec minutie tous les terrains à bâtir. Le CTC n'a pas la puissance de la force publique. Il est apparu de ce procès qu'il n'intervient qu'à titre de conseiller des polices d'assurances. Sans aucun pouvoir sur le maître de l'ouvrage et le constructeur. Les silos de l'Eriad de Corso, des ouvrages spéciaux, les appelle-t-on parce que construits pour supporter un séisme majeur, donc supérieur à celui de mai 2003, ont été endommagés et sont encore inutilisables. Que dire alors d'un bâtiment construit selon le règlement parasismique (RPA) de 1988 qui prévoit une accélération sismique de 0.15, alors que celle de 2003 était de 0.45 ? Selon le professeur Chelghoum, l'onde sismique est multipliée entre 8 et 10 dans les sols marécageux et sédimentaires. Ce qui l'amène à dire qu'« à Corso, à Zemmouri village et les Issers ce qui s'est produit dans les sites incriminés était simplement inévitable ». Les scientifiques entendus par le juge lors de ce procès et par le magistrat instructeur avant ont tous été clairs : même si on avait construit dans le respect strict des normes du RPA de 1988, il y aurait eu des dégâts importants. Peut-être moindres, sans ceux engendrés par les erreurs humaines. Des avocats ayant défendu des accusés dans ce procès ont déclaré : « Pourtant, il existait dès 1999 une étude américaine qui avertissait l'Etat algérien et qui préconisait de revoir le zonage. » Qui n'a pas donné l'ordre de passer vite à cette révision ? Ces gens-là sont aussi passibles des tribunaux. Pour les besoins de son enquête, le ministère de l'Habitat a désigné des commissions dont les membres, en plus du manque de qualification, ont travaillé approximativement. Des commissions qui ont donné des conclusions du genre « le bâtiment a été endommagé à cause de la qualité douteuse du béton ». « Qualité douteuse ? Pourquoi ne l'avez-vous pas analysé pour trancher ? », leur rétorque la défense qui les laisse désarmés. Des commissions qui n'ont même pas dressé des procès-verbaux de prélèvement d'échantillons avec mention du lieu et de l'endroit du prélèvement. Les mêmes insuffisances ont été relevées par la défense en ce qui concerne les experts désignés par la justice. « Des architectes se sont prononcés sur des choses relatives au génie civil, c'est simplement inacceptable », ont-ils dit.