Flânerie dans la nuit africaineIl est 23h passées. Daouda dit « Dozé », 32 ans, se propose de nous faire découvrir une partie de l'underground bamakois. Dozé est originaire de Gao, située à 1250 km au nord-est du Mali. Daouda est moitié Targui, moitié Songhaï. C'est le Mali. Conjonction d'une multitude d'ethnies (malinkés, bambaras, peuhls, dogons, touaregs, arabes hassania, toucouleurs…). 13 langues nationales. Dozé nous emmène dans la périphérie de Bamako, précisément dans un quartier appelé Lafiabougou, relevant de la commune IV, pour nous faire visiter une boîte de nuit du nom de « Dundunba » où se produisent quelques groupes maliens marginaux et néanmoins fort originaux. En musicien attitré, spécialiste du violon traditionnel, lui qui avait fait partie, assure-t-il, des Tinariwen, les Gnawa Diffusion de Kidal pour aller vite, notre guide connaît tous les coins branchés de Bamako. Outre la jeunesse bamakoise, quelques Blancs viennent au « Dundunba » goûter à la sensuelle musique malienne et ses rythmiques endiablées. Dehors, des ados pleins d'énergie se trémoussent comme des sorciers aux sons s'échappant du bouge dansant. Chacun s'amuse comme il peut. C'est le Mali. C'est Bamako. Un peu comme en Amérique latine où la musique est le meilleur baume contre la pauvreté. C'est ainsi. C'est dans le sang. Chez nous, la misère sociale, conjuguée à une certaine fatalité mal soignée, a fait de nous des gens aigris dès la naissance. On remonte la rue Hamdallaye. Avenue de l'Indépendance. 1h du matin. La ville est loin de céder au sommeil. Des jeunes des deux sexes se livrent à des courses de motos, encadrés par des haies de spectateurs en transe. Un peu plus loin, des légions de SDF dormant à la belle étoile. « C'est l'envers de Bamako », commente Dozé. « La vie ici reste chère. Les loyers sont très élevés : 25 000 FCFA contre 5000 à Gao. » ajoute-t-il. Le Mali est l'un des pays les plus pauvres du monde en dépit de ses gisements aurifères et de ses champs de coton. Le nord sahélo-saharien est particulièrement déshérité. C'est sans doute ce qui a poussé Daouda à quitter sa famille à Gao et venir s'installer ici, même si la situation à Gao est loin d'être aussi dramatique qu'à Kidal. Gao est un important carrefour commercial avec un port très actif donnant sur le fleuve Niger. Que fait-il à Bamako ? « Tous les studios d'enregistrement sont ici, les meilleurs arrangeurs aussi », argue notre guide. Daouda rêve toujours d'épouser une carrière artistique et devenir un jour, qui sait, une star aussi populaire qu'un Salif Keita dont la bouille orne tous les panneaux publicitaires de Bamako. Daouda espère aussi se marier à Bamako. « Chez nous, là-bas, au nord, la dot des filles est très chère. Les hommes sont valorisés à l'aune de leur cheptel. Ici, avec un kilo de cola et une caution de 15 000 CFA, tu peux te marier », dit-il. Mais Daouda ne semble pas près de réaliser son rêve. Trouver un travail convenablement rémunéré est difficile. « C'est cela qui pousse tant de jeunes à partir en bravant tous les dangers », explique notre ami. « A Bamako, le travail manque cruellement. Un manœuvre gagne à peine 750 FCA par jour. Comment tenir avec une solde aussi dérisoire alors que les gens qui vont juste à Tamanrasset gagnent nettement mieux leur vie et reviennent parfois nantis ? », poursuit-il. Aussi, d'aucuns font le chemin inverse que le sien, en empruntant la longue route qui va vers Gao et Kidal, les portes du désert. La voie (suicidaire) de l'immigration…