Près de 300 salles ont été fermées par les autorités à Alger, au motif qu'elles n'obéissent pas au nouveau décret (05/207) de juin 2005. La profession crie au scandale martelant que la plupart des sites scellés ont fonctionné selon les lois de la République. Les anciennes pratiques, tel le squat des terrasses, réapparaissent à la faveur d'une tarification (des salles) en hausse. Cet été 2007, le mariage est tributaire de la disponibilité des salles des fêtes. Et comme des centaines d'entre elles ont été fermées par les autorités, la saison est sérieusement compromise », avertit le Comité national des salles des fêtes (CNSF), le syndicat qui représente la corporation au sein de l'Union générale des commerçants et artisans d'Algérie (UGCAA). En effet, des milliers de familles devant marier un des leurs ne savent plus quoi faire. Les agendas sont secoués, les dates repoussées et les commandes annulées. « Une catastrophe », résume une maman qui dit avoir perdu le labeur d'une année de préparatifs. « Imaginez un peu ce que cela représente comme perte sèche en argent. J'ai dû également me démener pour appeler un à un mes invités. Il fallait qu'ils sachent que la fête n'aura pas lieu », dit-elle les larmes aux yeux. Des centaines de cas similaires sont à déplorer aussi bien à Alger que dans le reste du pays. Les plus téméraires ne veulent rien savoir. Le mariage sera célébré le jour J, quitte à reprendre les anciennes habitudes. A Bab El Oued, quartier populeux où la densité équivaut à celle de Calcutta, les terrasses reprennent du service après plus de 20 ans de chômage. La bâche pour l'intimité, les chaises pliantes de location et la salle d'eau (beït essaboune, elle-même souvent squattée pour usage d'habitation) servent de logistique comme au bon vieux temps. « Je sais qu'il y a un risque lorsqu'il y a concentration de personnes. Mais je n'ai pas d'autre alternative que le s'tah (terrasse) », reconnaît une famille qui a marié son fils début juillet. D'autres, mieux loties, font la fête à la maison. Mais il faut dire que ces familles ne sont pas légion à occuper une demeure cossue avec un grand jardin. « Ces dernières années, on recourrait aux salles des fêtes. Comme ces lieux se font aujourd'hui rares et coûtent cher, nous préférons célébrer nos fêtes à la maison. La cour est assez vaste pour contenir tout le monde », témoigne une famille résidant à Draria. QUE DEVIENNENT LES SALLES DES FÊTES ? La saison 2007 s'illustre aussi par d'autres débrouillardises. On n'hésite pas à fermer une rue, précisément une impasse, en plein Alger pour la cérémonie du « aâcha » (dîner) du mariage, comme dans les années 1970 lorsque la capitale était presque vide. Aucun invité ne s'émeut lorsqu'il est prié de passer à table. On prend du couscous et sa part de gâteaux dans une ambiance bon enfant avant de laisser la place à d'autres et ce, entre deux lignes de voitures en stationnement. « Où voulez-vous que j'emmène mes invités ? Dans une salle des fêtes ? Y en a presque plus et si tu en trouves une, ça te coûtera les yeux de la tête ? », s'écrie El Hadj Omar qui marie son benjamin de 39 ans. Sur les 706 salles répertoriées par le CNSF, près de 500 ont été fermées à travers le territoire sur ordre des autorités. Alger est la plus touchée, 200 salles sur 280 ayant baissé rideau, selon la corporation. Le ministère de l'Intérieur exige des propriétaires de se mettre en conformité avec une nouvelle loi fixant les modalités d'exploitation des établissements de spectacles qui s'applique désormais aux salles des fêtes familiales. Seulement, les gérants des salles qui obéissent aux règles les plus strictes ne comprennent pas pourquoi les a-t-on sommés de mettre la clé sous le paillasson, tonne le CNSF. « Un beau matin, on se réveille et on décide de changer tout. Pourtant, la profession était régie par des décrets de la République algérienne stipulant qu'il suffisait d'une attestation de la mairie, d'un avis de conformité de la Protection civile et d'un registre du commerce », relève, dépité, Abdelmadjid Bessila, président du CNSF. Les nouvelles dispositions contenues dans le décret 05/207 de juin 2005 sont jugées « draconiennes », en ce sens que les salles des fêtes sont régies au même titre que les boîtes de nuit et les cabarets en ce qui concerne notamment l'âge du personnel, l'hygiène, la sécurité... Le gérant doit être âgé de plus de 30 ans et 25 ans pour le personnel (serveuses, etc). « Le plus grave est que la loi a été appliquée avec effet rétroactif. Tous les jeunes de moins de 30 ans qui ont investi cette activité dans le cadre de l'Ansej ont vu leurs salles scellées. Complètement déboussolés, ils ne savent plus quoi faire, au moment où ils sont sommés de rembourser, rubis sur l'ongle, le crédit bancaire », souligne M. Bessila. Faisant partie des salles fermées, Cathrina est un joyau architectural qui devrait être, selon des experts, classé comme monument historique. Construit au XIXe siècle, ce palais de style arabo-mauresque servait depuis des années de site pour célébrer des fêtes familiales. Triste Cathrina Lors d'une visite sur les lieux en compagnie du vice-président du CNSF, Benalia Kremiai, nous avons été accueillis par un propriétaire « malade ». « On m'a ordonné de fermer, car, selon les autorités, je devais régulariser ma situation administrative. J'ai un acte de propriété, mes locaux sont dotés de toutes les commodités d'hygiène et de sécurité. Nous avons un parking de plus de 200 véhicules, nous ne gênons pas le voisinage et les gens sont nombreux à choisir Cathrina », explique notre interlocuteur, l'œil rivé sur la porte scellée de sa salle, fermée depuis 10 mois. Autre lieu « nickel », Dar Al Ahbab, sise à Beni Messous. Ouverte en 2004 par une jeune promotrice dans le cadre de l'Ansej, la salle a été mise sous scellés le 16 décembre 2006. Motif : « Régularisation administrative. » « Je ne comprends rien. C'est quoi cette histoire de régularisation alors que le site a reçu les autorisations des institutions concernées. La bâtisse est antisismique, elle a des issues de secours, il y a un parking, la climatisation et elle a été passée au peigne fin par le Contrôle technique de la construction. C'est quoi donc cette autorisation ? Et dire que j'ai investi plus d'un milliard de centimes. Aujourd'hui j'ai tout perdu », se lamente la jeune femme. Les mêmes doléances nous sont exprimées par les propriétaires de salles, « tout aussi irréprochables », comme il est souligné par la CNSF. Il s'agit, entre autres, des salles Mira de Chéraga, Al Afrah de Gué de Constantine et Yasmine de Hammamet.