Ahmed, commerçant, a la mine réjouie derrière sa vitrine. Sa boutique est pleine à craquer de monde. Normal, sa belle vitrine donne sur une rue qui continue d'incarner le charme d'une ville et la beauté qui s'étale au cœur de la cité. Rima, l'aînée, a 22 ans. Cette étudiante en droit veut acheter une chemise pour son petit frère. Mais elle trouve les prix excessivement élevés. « 1 350 dinars un ensemble pour bébé, ce n'est pas donné », commente-t-elle. Sa sœur Leïla, 18 ans, elle, ne fait visiblement pas du tout attention au prix avant d'acheter. « Moi, si quelque chose me plait, je l'achète, un point c'est tout », se moque-t-elle gentiment de son aînée. La rue reste le meilleur endroit, notamment pour la frange juvénile, pour passer les soirées du Ramadhan. « Tout droit vers le taxiphone pour appeler ma copine, en attendant 22h. Après cette heure, j'utiliserai mon portable pour profiter de la gratuité offerte en promotion spéciale Ramadhan », se confie Karim, 23 ans. Dans les rues, les soirées se déroulent sur un tempo lent après le f'tour. La tombée du jour s'observe en silence, dans la lumière. Entre fringues et flâneries Puis, dès 20h, des familles flânent sur les trottoirs. Et même sur la chaussée interdite aux voitures le soir. Des enfants jouent entre les passants, des fillettes dégustent des glaces, des jeunes femmes qui marchent dévorent des yeux ces garçons debout entre les vitrines lumineuses et les chaises en plastique des vendeurs de cigarettes. Les jeunes tourneront alors résolument le dos à la réalité, aux immeubles vieillis, aux arcades ‘‘fades'', à la trace de béton nu des déjà anciennes boutiques des arcades. « Il n'y a pas d'ambiance, cette année. Regardez comme les arcades sont moches », lance un commerçant qui a vu récemment sa boutique rasée par la commune pour, en fin de compte, ne lui céder qu'un « petit coin » au sous-sol du marché Michelet. Et l'on réalise aisément qu'il parle amèrement de cette situation. « Fimyzek, (à ton avis), le sous-sol du marché Michelet a-t-il quelque chose d'égal à ce beau carrefour qu'est la rue d'Arzew ? », dit-il. Des enfants tiennent des ballons au bout d'une ficelle et les tables regorgent de gâteaux orientaux, chamia, pâtisseries au miel, montagnes de fruits frais. Faut-il réinventer les boutiques disparues ? Tout ce vaste périmètre témoigne d'une énergie fantastique pour ressusciter une ville moribonde, mais il ressemble à une pièce de tissu neuf cousue sur un très vieux vêtement. Malgré tous les inconvénients qu'il suscite, on est tenté d'accorder à ce centre-ville les circonstances atténuantes et de saluer la volonté de renaissance qu'il symbolise. Une volonté émouvante, très sensible à Oran. Une image pathétique et belle comme l'est, au fond, la ville tout entière.