La mer était belle. Djamel et ses deux enfants, Amina et Halim, barbotaient dans l'eau avec enthousiasme. Il leur apprenait à nager ; Amina, avec sa bouée, savait maintenant bouger ses pieds. Djamel se souvenait que, quand elle avait trois ans, lors de son baptême de la mer, — sa femme était enceinte de Halim —, en s'approchant de l'eau, elle essayait à chaque fois d'enlever son tout petit bikini rouge, comme quand on la faisait entrer dans une baignoire. En la voyant agir ainsi, qu'est-ce qu'il n'avait pas ri en ces moments-là. Maintenant, à six ans, elle se débrouillait pas mal. Aussi, Djamel s'occupait beaucoup plus de Halim. Il remarquait que ce dernier adorait l'eau, comme sa sœur la première fois. Combien de fois, ils l'avaient obligé à revenir à l'eau, surtout Halim. Tous les enfants adorent se baigner, pensait-il. Fatigué, il voulait rejoindre leur maman qui était sur la plage, mais il savait que les enfants allaient le tarabuster, le harceler en pleurant pour revenir à la mer. Halim, à plusieurs reprises, y retournait seul en courant, Djamel le rattrapait et finissait par appeler Amina, et tous allaient à l'eau. Si au moins sa femme nageait !... Elle l'aurait aidé à tenir les enfants. Elle ne le faisait pas depuis qu'elle portait le hidjab. Vrai, d'autres femmes comme elle piquaient des plongeons, ressortaient le hidjab dégoulinant et moulant outrageusement leur corps, ce qui était (est) peut-être pour certains plus sexy que si elles étaient habillées en bikini ou en deux-pièces. De l'eau, ils n'en ont jamais assez, se disait-il. Comme quand ils étaient dans la baignoire. Amina, puis Halim, disaient toujours à leur maman, avant d'être savonnés, de leur permettre de rester un peu dans l'eau. Amina faisait la toilette à sa poupée, et Halim faisait voguer son bateau. Quand la mère venait à la salle de bains pour les nettoyer : « Maman, un petit peu, s'il te plaît ! », implorait Amina et répétait Halim sur le même ton. Une ou deux fois, il en était ainsi, puis, la maman arrivait, l'air décidé, disant : « Ça suffit maintenant, je ne vais pas passer la nuit à vous attendre ! » A présent, pour Djamel, c'était le moment, le soleil tapait fort, il fallait « décrocher ». Il hissa Halim jusqu'à sa poitrine, le tenant par le bras gauche, et de l'autre, faisait traîner Amina avec sa bouée. « Papa, un petit peu, s'il te plaît… », lança Amina. Papa, « Un petit peu, s'il te plaît… », refit Halim. « Non, c'est l'heure de partir… », disait le père. Une fois sortis de l'eau, Djamel posa à terre Halim, lui disant de rejoindre sa sœur. Celle-ci, après avoir enlevé la bouée, et l'avoir donnée à son père, détala vers sa mère. Djamel regardait sa femme assise sous un parasol, l'air tranquille. Mais un instant, il fut surpris par un « canon » en bikini qui passait devant lui ; il la dévisagea un moment, puis se reprit. Un petit moment, car beaucoup de gens criaient en le regardant, même sa femme le faisait en courant vers lui. Il comprit enfin qu'il s'agissait de quelque chose qui devait se passer derrière lui, et puis, il entendait des voix crier le mot « enfant ». Il se retourna, mais c'était trop tard : Halim n'était nulle part. La mer était belle. Elle ne le sera jamais plus pour Djamel.