Les Marocains lui témoignent de la sympathie. Ils se reconnaissent dans son discours résolument anticorruption qui gangrène le royaume. Son style tranche radicalement avec les mœurs politiques des dinosaures de la Koutla, formée par l'USFP de Abderrahmane Youssoufi (gauche) et l'Istiqlal de Allal El Fassi (nationaliste conservateur). Une bonne partie de la classe politique et des médias marocains lui vouent une sainte horreur… Le Parti de la justice et du développement (PJD) ne laisse décidément pas indifférent. Cette formation d'obédience islamiste dite modérée s'apprête à enlever haut la main près d'une centaine de sièges dans la future assemblée parlementaire du Maroc. Cela n'est guère une surprise pour n'importe quel citoyen que vous croiseriez dans la rue à Casablanca, à Rabat et même dans les contrées rurales du Maroc profond. La surprise serait plutôt que le PJD en sort au soir du vendredi 7 laminé. Présenté par certains comme une nébuleuse qu'ils n'hésitent pas à comparer au FIS algérien, le PJD est craint comme une peste qui, s'il venait à gagner, risquerait de précipiter le royaume dans une posture peu enviable de pays non fréquentable. C'est le principal soupçon qui pèse sur les épaules des dirigeants du PJD. Mais dans les faits, il est difficile d'imaginer un scénario à l'algérienne qui verrait le parti de Sâadeddine Othmani régner sur le parlement marocain et, pis encore, menacer la pérennité de la monarchie. En maître absolu, le roi Mohammed VI a tôt fait de tracer les lignes rouges au PJD triomphant. En adoptant un système électoral qui favorise la proportionnelle, « M6 » a tôt fait de stopper par anticipation la machine PJD réduite à composer avec une mosaïque de 33 partis. De ce fait, il lui sera impossible d'obtenir la majorité, du moins celle lui permettant de gouverner seul. Ce FIS bon chic, bon genre du Maroc serait amené, si telle était son ambition, à participer à un cabinet de coalition comme simple paravent d'un gouvernement totalement contrôlé par Sa Majesté. Le FIS BCBG de M6 Il se retrouvera fatalement tenaillé par un roi qui gouverne avec ses ministères de souveraineté (Affaires étrangères et Intérieur) et le fait que ce dernier n'est pas obligé de désigner un Premier ministre au sein du parti vainqueur des élections. Aussi, même les missions à forte valeur ajoutée de populisme qui sont le fonds de commerce du PJD, à savoir la lutte contre la pauvreté, la réalisation d'infrastructures touristiques et autres œuvres sociocaritatives, resteront entre les mains du souverain. Auparavant, en fin tacticien, « M6 » a lifté les grosses circonscriptions fief du PJD, comme Casablanca et Rabat, en coupant en deux les circonscriptions à la faveur du découpage électoral de février. C'est dire qu'en bon « commandeur des croyants », le roi a su et pu dompter ce lion du PJD, si terrifiant, qui déchaîne les peurs et les passions ici et ailleurs, le rendant inoffensif, contrairement à l'image qu'il dégage. Du moins pour son trône. Pour cause, les dirigeants du PJD ont tôt fait de montrer patte blanche en souscrivant noir sur blanc dans le programme du parti aux sacro-saintes constantes que les sujets doivent observer : el wihda tourabia (l'intégrité territoriale) et l'allégeance au roi. Il n'est d'ailleurs par fortuit que Mohammed VI ait insisté sur la tenue d'un scrutin propre et ordonné et mettre en échec les « marchands de voix » lors de son discours du trône. Le souverain n'a en effet plus besoin de faire traficoter les résultats des élections comme le faisait son défunt père avec les mains expertes de son autre défunt fidèle serviteur Driss Basri. Un PJD même vainqueur vendredi prochain pourra au mieux participer à un gouvernement d'union nationale, au pire s'ériger en premier parti d'opposition, certes plus fort qu'il ne l'a été jusque-là. Les observateurs ici à Casablanca sont convaincus que le PJD est sur la voie royale. Au propre et au figuré. Celle d'abord qui mène aux cimes de la classe politique marocaine à la faveur du scrutin de vendredi. Ensuite celle du Makhzen qui le verrait servir la pérennité et la sécurité de la monarchie. D'aucuns estiment que le PJD pourrait servir de bon rempart contre les jihadistes d'Al Qaïda qui s'expriment à travers des attentats cycliques ou encore Al Adl Wal Ihsane de cheikh Yacine qui remet en cause la monarchie. Bien que les partis politiques continuent de considérer le phénomène comme « isolé » ou « non organisé », le roi et son entourage semblent rester sur leurs gardes. Et le soutien des Américains pour l'option du PJD qui a tant embarrassé Mohammed VI et la classe politique marocaine semble avoir fini par lui donner des idées. On s'en souvient quand en avril dernier l'institut du parti républicain américain avait publié les résultats d'une enquête secrète au Maroc donnant le PJD largement vainqueur, les autorités marocaines avaient été fâchées. C'est à partir de là que la chasse au PJD a commencé. Les Américains n'ont pas abandonné leur poulain pour autant. Mieux, ils financeront même le rapprochement entre le parti de Othmani et celui de l'AKP turc considéré comme un modèle du genre. Un moindre mal. Même les Français qui ont mené la propagande anti-PJD ont fini par rentrer dans les rangs. Il est significatif de noter le ton curieusement conciliant des médias de l'Hexagone à l'égard du PJD ces derniers jours, à l'image du titre flatteur de L'Express : « Maroc : Islam contre islamisme » – comprendre PJD contre Al Qaïda… C'est dire, tout compte fait, que les élections législatives ici au Maroc ne représentent pas un enjeu majeur, si ce n'est la volonté du roi de formater la carte politique suivant ses projections mais aussi celles des Américains. C'est peut-être une manière subtile d'éviter le syndrome du FIS.