La percée des islamistes dans le champ politique marocain relativise les performances de la coalition sortante. Quoique les résultats de la consultation électorale de vendredi dernier soient (hier) encore provisoires, il n'en reste pas moins que les premiers éléments qui s'en dégagent permettent d'avoir une idée du contour de la future chambre parlementaire marocaine. Ainsi, les formations de la coalition sortante, les socialistes de l'Usfp du Premier ministre sortant, Abderrahmane El-Youssoufi, et les nationalistes de l'Istiqlal de Abbès Al-Fassi, gardent leurs positions antérieures encore que les unes et les autres aient vu leur marge quelque peu effritée. C'est le cas de l'Union socialiste des forces populaires qui, avec 49 députés, (selon le décompte provisoire), a conservé de justesse son léger ascendant, parvenant à maintenir sa première place certes, mais une première place plus que jamais conjecturale. Suivant immédiatement avec 47 députés, les conservateurs de l'Istiqlal consolident leur position de partenaire incontournable dans tout renouvellement d'une coalition gouvernementale crédible. Avec 41 députés le Rassemblement des indépendants (RNI) dispose, lui aussi, d'une bonne carte d'attente. Mais la surprise du scrutin, c'est la nette percée des islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD, islamistes modérés) qui, avec 41 représentants au Parlement, améliore sa représentation qui était de 14 députés. Outre ces quatre «gros» partis qui accaparent les deux tiers des 325 sièges de la nouvelle Chambre des représentants, 16 autres partis ont réussi à tirer leur épingle du jeu s'octroyant entre 26 et un député(s). La configuration de la nouvelle Chambre, très éparpillée, que d'aucuns avaient assimilée à un vote sanction, arrange, en fait, surtout les affaires du roi Mohammed VI qui n'aura pas en face de lui un parti politique fort, ou hégémonique, à même de remettre en cause le difficile équilibre sur lequel sont bâties «l'alternance consensuelle» et la «transition démocratique» voulues par le défunt Hassan II. Ainsi, la démocratie marocaine reste une démocratie relative et très contrôlée. De fait, la consultation législative de vendredi consacre autant la stagnation de la formation de l'Usfp que l'échec du Premier ministre El-Youssoufi qui ne réussit à concrétiser aucun des points de son programme, notamment la réduction de la pauvreté et du chômage, l'instauration de la justice sociale, la réhabilitation de l'appareil économique. C'est même cet échec que met en exergue son principal partenaire de la coalition, Abbes Al-Fassi, de l'Istiqlal, - considéré comme l'un des potentiels «ministrables» du prochain gouvernement - pour lequel il n'est pas question de «cautionner une reconduction de l'alternance consensuelle» laquelle, selon lui, «pourrait aggraver la crise». Pratiquement à égalité de sièges avec l'Usfp, l'Istiqlal se veut donc offensif en attendant les résultats définitifs. Cependant, l'inconnue demeure encore les islamistes du PJD qui disposent d'atouts importants dans leur manche. Même si analystes et observateurs estiment peu probable une entrée des islamistes dans l'actuelle coalition, il n'en demeure pas moins que la position acquise au lendemain des législatives du 27 septembre les positionne en tant qu'arbitres. Rôle que les responsables du parti islamiste, qui ne le désavoue pas, ont bien l'intention de jouer. C'est ainsi que le secrétaire général adjoint du PJD, Saâd Eddine Othmani, qui estime qu'il n'y aura pas de «changements notables» dans le futur gouvernement, affirme, toutefois, concernant une éventuelle participation de son parti que «cela dépend du Premier ministre qui sera désigné, de son parti, du programme de son gouvernement et de ses priorités». De fait, s'il semble exclu que les islamistes intègrent un gouvernement dirigé par Abderrahmane El-Youssoufi, ils sont moins catégoriques dans le cas où une autre personnalité serait désignée par le roi, lequel, selon la Constitution, a la prérogative de nommer le chef du gouvernement. Et l'un des «ministrables» possibles reste Abbes Al-Fassi qui, dans une déclaration à la presse, a fait l'éloge des islamistes avec lesquels l'Istiqlal, selon lui, «partage les valeurs de l'Islam», indiquant : «Le PJD est un parti qui compte et qui a beaucoup d'influence» remarquant: «Le Maroc est un pays musulman, pratiquant un islam d'ouverture et de tolérance» regrettant que «ce discours est rare dans le gouvernement actuel» (dont cependant l'Istiqlal fait partie) ajoutant: «Nous ne partageons pas tout leur programme mais nous nous retrouvons sur les valeurs de l'Islam.» Plus pragmatiques, les islamistes marocains ne veulent pas faire peur, ni renouveler l'expérience des islamistes algériens. Ainsi, l'un des dirigeants du PJD, Abdallah Benkinane, affirme que son parti n'a présenté de candidats que dans 56 circonscriptions sur les 91 du pays, pour «éviter un raz de marée qu'on aurait été incapable de supporter aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger», soulignant: «Le scénario algérien, c'est la phobie de tous les Marocains aujourd'hui.» De fait, les islamistes marocains, qui ont donné un aperçu de leur puissance potentielle, prennent date pour le futur. Et rien n'indique que la monarchie de Mohammed VI y est préparée.