Nous sommes asphyxiés par le commerce informel et la complicité des citoyens n'arrange pas les choses », s'est écrié, au bord de la crise de nerfs, un quinquagénaire tenant boutique à la rue des frères Chouiet, ex-rue Abdallah ou, plus communément appelée, Zenquat leyhoud. Murs achalandés, trottoirs squattés et passages pris de force ou disputés aux piétons. Des disputes quotidiennes et un laisser-aller quasiment volontaire pour occuper cette frange de la population, qui trouve en cet espace de quoi se faire de l'argent : pickpockets, voleurs à la tire, à la sauvette, sous la menace, par consentement. « Il existe même, des commerçants qui louent leurs murs, qui casent pour la nuit la marchandise d'autrui », avouera un autre habitué des lieux, qui profère des injures à gauche et à droite.A l'approche de la rentrée scolaire et du Ramadhan, le moindre cm est occupé et défendu contre d'autres prétendants. Les agressions sont quotidiennes et couteaux, poings américains, bâtons, épées (même) s'exhibent comme par enchantement ; le sauve-qui-peut est légion dans cette rue et celles qui lui sont adjacentes. Pour les amateurs de sensations fortes, le passage par cette rue s'impose durant le Ramadhan. « Ce n'est point la fièvre du samedi soir, mais la fièvre permanente », assure un émigré qui aime bien passer quelques jours de ce mois supposé sacré dans son pays et qui observe les scènes afin d'emmagasiner le maximum de tableaux à narrer au retour. Cependant, il y va de la sécurité du pauvre Blidéen ou du passager d'un jour. Il y va de l'autorité de l'Etat, qui a pu recouvrir quelque splendeur, après le tour de force du mois de juillet dernier, lorsqu'il avait suffi d'une journée pour évacuer— et définitivement— la rue des Martyrs, ex-rue d'Alger, devenue route piétonne par la volonté de malabars, qui imposaient à toutes et à tous une loi qui ne voulait pas se définir. Des responsables évoquent la misère de ces jeunes, leur mauvaise adaptation aux conditions de vie en commun et qu' « il faudrait leur lâcher du lest ». Un Etat de droit possède-t-il des exceptions à la loi ? Quelle réglementation permet de piétiner le sacro-saint « respect d'autrui ? » Aucun des hauts responsables, des cadres de l'Etat et même des responsables d'entreprises privées et publiques n'ose plus s'aventurer dans ces rues et ruelles, préférant laisser « le peuple » patauger dans la boue, s'engueuler, s'entre-déchirer et s'offrir mutuellement en spectacle. Même les étrangers à la ville passent par ces espaces et se montrent curieux et demandeurs de ces scènes, qu'ils pourront raconter le soir en rentrant dans leur paisible ville ou village. Les plaies n'ont que trop saigné et le temps des pansements est sans doute arrivé, afin de ne pas avoir à employer d'autres médications sans doute plus douloureuses et irréversibles. Des jeunes des collèges et des lycées — au fait, c'est bientôt le retour aux bancs et aux bandes — héritent d'une situation où la norme a changé de signification, où la cohue signifie hogra, vol, agression ; parler à voix haute, cracher, injurier pour n'importe quoi et n'importe où fait partie de la « rejla ». Etre un homme à Blida, signifie également pour ces jeunes, le passage sans embûches par cette rue aux multiples tentations. La fille bien rangée ou le garçon préoccupé uniquement par ses études va jusqu'à ignorer l'existence de ce souk qui, dans d'autres cieux, est synonyme de richesse culturelle, de traditions sauvegardées, de modèles de vie à l'ancienne et qui verrait passer quotidiennement, des files d'étudiantes et d'étudiants à la recherche d'indices en sociologie, en architecture, en histoire ; des files de touristes à la recherche d'autres senteurs, d'autres sensations liant le présent à un passé — parce que — riche se trouve enfoui. Il suffit d'un ordre, d'une poigne de fer pour que tout s'éclaire dans une ville courbant l'échine sous le poids du désordre quelque peu voulu, sinon, comment l'expliquer autrement ?