« J'avais cru l'espérance à jamais morte en moi. J'avais dit : le désir ne m'est plus approchable. Mon corps est désormais un vil indésirable. Du pays de l'amour- car je n'y ai plus foi. J'avais cru ce discours comme on croit à la loi. Des hommes jusqu'au jour où l'on brise la table. Sur laquelle est gravé l'édit toujours friable. » Poésie d'amour, poésie de guerre. Djassem El Abd(1) vit en Irak et chante son pays, jadis beau, ancestral et calme comme les eaux de l'Euphrate au printemps. Dans ces poèmes brûlants ou doux, quelque chose s'ouvre, se propose, qui n'est pas affirmée, qui n'est frappée d'aucune certitude, mais ne se désigne par rien d'autre qu'une invite — prudente, empirique, discrète — à l'exploration. Bien entendu, cette exploration propre au poète qui est la mise en avant d'un certain nombre de signes : « Tendre amour, joyeux corps, sens parfois en délire... / Ces fins mots sont pour moi des symboles au plus / Car j'ignore, en ces soirs les idylliques nus / Congestionnant l'esprit du profane à séduire. / Jadis, hier encore, en affolant Vampire./ J'aspirais les baisers de mon Eve, rendus / -Avec fougue d'ailleurs - par son cœur sans refus. / D'aucune sorte pour son langoureux satyre... » Le côté « il y a » (amour !) de la poésie de Djassem El Abd est ici plus accusé que jamais. L'amour ne cède en aucune manière à la tentation de se dérober, de se soustraire à sa vérifiable présence, de « divaguer » : « Je ne délire pas, dit-elle, Je suis au fait. » Des signes (ils sont nombreux dans la poésie de Djassem El Abd) ajustés, alignés, juxtaposés avec le souci de voir ce que cela « fait », produit, construit, donne à quelle question cela répond, si question il y a. Mais il y a « la guerre ». « Cette sale guerre » que fait « l'Amérique » à l'Irak millénaire comme les eaux du Tigre et de l'Euphrate : « Allant sous la mitraille éclatant en concombres./ De flammes et de fer et d'explosifs sans feux./ Sachant pertinemment, les hasards belliqueux / Quand du tout le rien fait un gouffre où le Dieu sombre.../ Sans espoir après tout car il porte malheur./ D'espérer vivre encore dans la paix des ruines./ Aux pieds caracalliens de la suprême Horreur. » L'horreur (avec un grand H !). Constatation « Horrible » des poèmes de Djassem. La « Guerre » (avec un grand G !) est là. Cela est à la limite de l'incroyable ; l'inconcevable quand « le temps est noir et chaud « (dixit Djassem). Mais la terre est gelée. Mais elle est vivante comme l'Irak de Djassem El Abd : « La terre, l'Irak,/ Ou la fumée des temps./ Très loin le feu descend./ De la montagne./ Remonte ‘'du désert''... ‘'vers le ciel !''. » Comme tous les poètes des « temps difficiles », « des guerres », des pays ruinés, vaincus, colonisés, « brûlés, comme tous les poètes » (dixit notre poète !) de l'Irak désespéré, implorant « le ciel », mais... gardant l'espoir, Djassem El Abd écrit des poèmes « brûlants »... dans « le feu de l'espoir ! ». (1) Né en 1962 à Baghdad, la ville d'Abou Nouas et d'El Moutanabi (dixit Djassem). II a cinq recueils de poésie (dont le dernier vient de sortir à Beyrouth : Feux).