Depuis plusieurs années, nous assistons ahuris à la confiscation des valeurs islamiques et à la distorsion des préceptes coraniques par des pseudo uléma qui, de surenchère en surenchère, ont fini par justifier l'intolérable. La crétinisation des esprits aidant, nous nous sommes enfermés dans un carcan bien établi balisé par le verbiage creux sur l'illicite et l'interdit. Et, nous voilà, tétanisés devant l'offensive terroriste aveugle qui, régulièrement, moissonne des vies innocentes en nombre considérable et toujours inacceptable. Sauf que dans ce désordre, nous n'entendons pas du tout, ou pas suffisamment, les cheikhs, les imams et autres muftis condamner ces dérives meurtrières abjectes. Depuis Al Qarawiyyine à Fès jusqu'à Al Azhar au Caire, en passant par la Zeitouna à Tunis, pas un colloque, pas un congrès, pas un symposium de grande envergure pour endiguer la déferlante islamiste. Rien à La Mecque, rien à Qom. Aucune coordination des grandes mosquées du monde islamique pour condamner d'une manière claire, sans ambages et sans équivoque les attentats suicide. La frilosité et la pusillanimité des hiérarques musulmans frisent la lâcheté sur ce sujet. Les atermoiements confinent à la complicité de facto. C'est à une réaction conjuguée et concertée que nous nous attendons toujours, au-delà de l'indignation de circonstance et de la désapprobation de principe. Nous nous sommes égosillés individuellement à dénoncer la violence qui s'abat au nom de Dieu. Mais, celui qui tient à dénoncer doit aussi annoncer. Annoncer haut et fort qu'aucune cause, si juste soit-elle, n'autorise le massacre des innocents. Aucune révolte si légitime soit-elle n'implique la barbarie. Et surtout, on ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir d'un idéal religieux pour semer la haine et la cruauté. Nous sommes résolument du côté du droit et de la justice. Jamais du côté de la terreur. Mais le discours incantatoire ne règle rien et le propos imprécatoire ne fait jamais avancer les débats ni régler les choses. La déclaration de résistance est proclamée. Elle commence par le travail d'assainissement de l'intérieur par une réappropriation des textes et un enseignement épuré du patrimoine religieux par des théologiens compétents et sérieux. Beaucoup plus qu'une simple réformette, plus qu'un simple ravaudage, c'est d'une véritable refondation de la pensée anthropologique et religieuse qu'il s'agit, en lien avec l'histoire et la théologie. Cette vaste entreprise doit être menée à bien. De sa réussite dépend l'avenir de la oumma et partant celui de la stabilité du monde. La question est désormais d'être ou de ne pas être. Pour cela, il y a lieu de s'atteler tout de go à la mise en œuvre de chantiers titanesques. Ceux-ci consistent en priorité à déconnecter le politique du religieux et à séparer le temporel d'avec le spirituel. Le traitement des sujets ayant trait à la laïcité, au pluralisme, à l'autonomie du sujet, à la liberté de pensée et aux droits fondamentaux de la personne humaine, est préalable à toute œuvre de reconstruction. En même temps, il faut ouvrir le chapitre des questions sociétales afin d'entériner, une bonne fois pour toute, l'égalité foncière et fondamentale entre tous les citoyens, hommes et femmes. L'égalité ontologique entre les êtres est nécessaire pour bâtir un mieux vivre-ensemble fondé sur l'amour et la solidarité. Comme il faut désacraliser la violence et cesser de croire en ce début de millénaire qu'elle puisse avoir une quelconque efficacité et encore moins qu'elle puisse être commanditée par la transcendance. Si nous ajoutons à ces sujets primordiaux des thèmes tout aussi importants que l'acquisition du savoir et de la culture dans une éducation saine avec un intérêt accru à la science, aux beaux arts, aux belles lettres, à la musique, à la poésie, nous sortirons de l'ornière. Nous aurons à passer en revue, les jours à venir, ne serait-ce que d'une manière sommaire, quelques bribes de réflexion et certaines petites modalités pratiques pour la réalisation de ce grand et ambitieux programme. D'ores et déjà, nous savons tous qu'il ne se réalisera qu'avec une grande volonté politique d'ouverture et une culture de l'Etat moderne et démocratique.