Depuis l'annonce faite par le président Bouteflika de recourir à une amnistie générale qui donnerait un caractère définitif à la réconciliation, beaucoup de supputations ont suivi. Aussi convient-il de rappeler que l'amnistie est d'abord un acte du pouvoir législatif, donc une prérogative du Parlement, contrairement à la grâce qui, elle, au regard de la Constitution relève du président de la République. Amnistie, faut-il le rappeler, vient du grec « amnestiae » qui signifie pardon.D'une manière générale, une telle mesure est prise à la suite de bouleversements ou de faits politiques majeurs. Chez nous, une telle démarche n'a jamais été adoptée depuis l'indépendance, contrairement à la grâce qui a toujours été une prérogative du président de la République, y compris dans son avatar de grâce amnistiante... Ailleurs si. En France, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, le général de Gaulle fait voter par le Parlement une loi amnistiant tous les militaires français et autres personnes impliqués dans les « événements d'Algérie », selon la terminologie officielle de l'époque qui refusait de reconnaître que ce qui s'était passé entre 1954 et 1962 était bel et bien une guerre et non de simples « événements ». Résultat : les généraux français ne pouvaient être poursuivis ni pour crime de guerre ni pour violation de la convention de Genève aussi bien par l'Algérie que par un quelconque citoyen. Il est sans doute utile de rappeler qu'un des premiers effets de l'amnistie quand elle est adoptée par le Parlement n'a d'autre but que d'effacer le caractère délictueux d'un fait punissable. Et par conséquent, soit d'arrêter les poursuites ou même de ne pas les engager. Plus que cela, elle a pour finalité d'effacer les condamnations prononcées, en d'autres termes de « blanchir » l'auteur de l'acte délictueux. Plus « terre à terre », la peine prononcée est tout simplement effacée du casier judiciaire de l'intéressé. Contrairement à la grâce, elle a plus un caractère collectif à partir du moment où elle concerne une catégorie d'individus et ne peut être « balisée », que ce soit dans le temps ni dans son domaine d'application. Plus précisément, on parle par exemple d'amnistie fiscale, douanière, etc. Au risque de se répéter, il convient de souligner qu'elle est d'abord « une mesure d'oubli qui a pour effet de supprimer rétroactivement le caractère délictueux des faits auxquels elle s'applique ». Alors que la grâce présidentielle, qui peut être individuelle ou collective, si elle dispense de l'exécution de la condamnation, elle ne l'efface pas pour autant. Avec l'amnistie, si des poursuites pénales sont engagées, mais la condamnation non prononcée, la personne amnistiée bénéficie de la relaxe. Si la condamnation définitive a déjà été prononcée, l'amnistié bénéficie de toutes les remises de peine. « L'oubli » est poussé encore plus loin, puisqu'il est même interdit en vertu de l'amnistie d'évoquer ou de rappeler la condamnation sous quelque forme que ce soit ou même de dire que la personne ayant bénéficié d'une telle mesure a fait l'objet de poursuites policières ou judiciaires, cela va de soi puisqu'elle a été « blanchie » par la loi ! Mais fort heureusement, là où elle est appliquée et fait l'objet d'une définition préalable de son champ d'application, notamment par une loi comme c'est le cas en France - une référence quelque peu dictée par la réalité qui fait que le système juridique algérien s'est souvent inspiré du droit français, avec les lois de 1995 et de 2002 portant amnistie par exemple -, elle n'empêche pas les victimes de l'acte délictueux de porter plainte et demander réparation du préjudice causé par l'acte en question. En d'autres termes, l'action civile est maintenue. Mais là, le droit prime, et la morale, érigée en vertu, a fait en sorte que certaines atteintes aux valeurs sociales fondamentales ne sont pas concernées par l'amnistie. C'est le cas des actes de terrorisme qui ont été exclus du champ d'application des deux lois citées plus haut en France. Il serait d'ailleurs illusoire de croire que les crimes de génocide ou crimes contre l'humanité, une notion de plus en plus admise par le droit international, puissent un jour faire l'objet de lois d'amnistie. Alors que dire chez nous ? Au moment où l'on est en pleine confusion, l'on ne sait pas à quoi faisait allusion le président de la République en lançant son idée de référendum sur l'amnistie générale. Une amnistie qui concernerait, comme le craignent certains, la décennie écoulée. Et que d'ores et déjà des courants d'opinion ainsi que Abdelaziz Bouteflika qualifient de guerre civile. Une appellation très commode qui a pour finalité d'évacuer les responsabilités en termes de droit dans l'apparition d'une crise qui fait vivre aux citoyens algériens une période effroyable durant une décennie symbolisée par les assassinats, les enlèvements, les disparitions, les massacres et les attentats à la bombe et causant des dizaine de milliers de victimes. Une guerre civile où il n'y aurait ni victime ni responsable. « La commodité », c'est qu'avec une amnistie, on oublierait tout cela, que tous ceux qui ont du sang sur les mains seraient « blanchis » et redeviendraient des citoyens à part entière à qui on doit tout pardonner avant même que la justice ne les condamne. Et on peut envisager que demain Abderrezak Le Para, aujourd'hui en détention, puisse se pavaner aux côtés des ses victimes en toute impunité sans que l'on puisse lui rappeler ce qu'il a été et ce qu'il a commis, il n'y a pas si longtemps, y compris à travers un simple entrefilet de presse. Pis encore, il faudrait demander pardon pour ce qui a été écrit auparavant.