Professeur en droit international, Me Mohand Issad, qui a eu à présider la commission nationale de réforme de la justice et la commission d'enquête sur les évènements de Kabylie, livre dans cet entretien son analyse de la mesure d'amnistie annoncée par le président Bouteflika. Liberté : En quoi consiste l'amnistie générale ? Mohand Issad : L'amnistie générale consiste à effacer les condamnations ou les faits pour lesquels on est susceptible d'être poursuivi pénalement. Il s'agit d'une décision politique. Le pouvoir politique selon l'opportunité peut effacer certaines condamnations et la possibilité de poursuites de certaines personnes pour des faits délictueux. En gros, l'amnistie n'est pas un problème juridique, elle représente plutôt un instrument juridique au service de l'opportunité politique. D'aucuns se demandent si cette mesure doit être étendue aux harkis que la France veut voir lavés par l'Algérie. Pensez-vous que les harkis seront concernés par la mesure d'amnistie ? Je n'ai pas entendu parler de cette possibilité. Les autorités politiques du pays ont affirmé à plusieurs reprises à destination de l'intérieur et de l'extérieur l'extrême sensibilité de ce problème. Encore une fois, la politique est plus présente qu'ailleurs dans le sujet de l'amnistie. Dans le problème des harkis, il y a lieu de tenir compte de l'opinion intérieure et extérieure. Est-on prêt en Algérie à concevoir la résolution de ce problème ou non ? En gros le problème des harkis est de leur permettre, à eux ainsi qu'à leur descendance, de rentrer librement dans notre pays. Le problème ne dépend pas du politique, mais également de l'état de l'opinion. En outre, si la mesure touchait les délits économiques, l'affaire Khalifa qui n'a pas livré tous ses secrets, ne risquerait-elle pas d'être enterrée à jamais ? L'affaire Khalifa a donné lieu à une instruction judiciaire. Je ne pense pas qu'il soit opportun d'en parler avant la clôture et les résultats de l'information judiciaire. J'ajoute que l'amnistie générale vise une catégorie d'infraction et non pas un cas particulier. Aussi, elle concerne généralement des actes ou des gens qui n'ont pas porté une grave atteinte à la société ou à l'économie nationale. Mais les terroristes ont porté gravement atteinte à l'Etat, à la nation et à la société… Nous parlons ici d'un problème économique. En ce qui concerne les terroristes, le président de la République a affirmé à plusieurs reprises que l'amnistie ne peut pas être étendue à ceux qui ont du sang sur les mains. La situation sécuritaire actuelle n'est pas similaire à celle du début des années 1990 et n'inscrit pas, par conséquent, la mesure de l'amnistie dans le cadre de l'urgence. Pourquoi pensez-vous que le président a recours à cette mesure ? L'opportunité est appréciée par le pouvoir politique qui est en possession de toutes les données sur l'affaire. Un avis individuel ne peut être que partiel. Je me garderai donc bien de donner un avis alors que je ne possède pas toutes les données, ni pratiques, ni politiques, ni sociales. À travers cette amnistie, que cherche au juste Bouteflika ? Je pense que le président de la République cherche la paix et l'apaisement de la situation. L'amnistie n'a pas d'autre but que d'apaiser les pressions. Si l'amnistie peut aboutir c'est tant mieux. Mais si elle doit donner lieu à d'autres problèmes, je réserverai mon avis. Cela dit, le problème de l'amnistie doit être pesé soigneusement par ceux qui ont toutes les cartes entre les mains. Aussi l'amnistie comme le problème des harkis est un problème trop important et sensible pour se permettre de donner des avis à tort et à travers. Comment réagissez-vous au fait qu'on décrète une amnistie en faveur de terroristes alors que ce genre de mesure ne s'applique pas en faveur des détenus de droit commun ? D'abord, l'amnistie n'est pas encore décrétée et on ne pourra donc donner un avis que lorsqu'on saura qui est visé par la mesure. Il ne faut pas mettre sur le même plan les terroristes, les harkis, les délits économiques et les archs, car, concernant la procédure pénale, eux aussi ont eu à en pâtir. C'est un amalgame qu'il ne faut pas faire. Ceci étant, le président a dit qu'il allait se référer au peuple au sujet de cette amnistie au moyen d'un référendum qui est une façon de consulter l'opinion publique. Et le président ne prendra de décision qu'à l'issue de ce référendum. N. M.