Au-delà des voies et moyens qui permettront au président de la République d'aboutir à une « amnistie générale », ce sont plutôt le contenu, les limites juridiques et les probables bénéficiaires de cette mesure qui constituent d'ores et déjà matière à polémique. N'ignorant pas que la Constitution ne lui confère guère le droit de décréter une amnistie, le président Bouteflika est appelé à se rabattre, par conséquent, sur d'autres canaux pour concrétiser ce qui est considéré par nombre d'observateurs comme l'étape suprême de la « réconciliation globale » prônée a cor et à cri par le chef de l'Etat. Cela est d'autant plus vrai que la Constitution algérienne de 1996 a clairement défini les rôles et déterminé les prérogatives du président de la République et du Parlement en matière de mesures de grâce et d'amnistie. En vertu de l'article 77 alinéa 7 de la Constitution, le Président ne jouit que du droit de grâce et de remise ou de commutation de peine, lesquelles mesures, faut-il le souligner, ne sont applicables qu'aux personnes ayant fait l'objet d'un jugement définitif de condamnation. En revanche, l'article 122 alinéa 7 de la Loi fondamentale stipule que la prérogative d'amnistie est du ressort exclusif du Parlement (APN et Conseil de la nation). A la lumière des dispositions de ces deux textes, il est clair que le chef de l'Etat aura recours à l'Assemblée nationale. Quant à une éventuelle consultation référendaire, celle-ci relève beaucoup plus de la volonté du Président de légitimer sa politique. Contacté hier, Me Miloud Brahimi, juriste et éminent avocat, a estimé que « les lois d'amnistie de par le monde entier sont inévitables. Mais à quel prix ? », s'est-il interrogé. Notre interlocuteur fera d'emblée un distinguo entre la grâce et l'amnistie. Il explique à ce sujet que la grâce, qui est du ressort exclusif du Président, n'efface ni l'infraction ni la condamnation. En d'autres termes, cette mesure, dira-t-il, « dispense le condamné de l'exécution totale ou partielle de la peine prononcée à son encontre ». Contrairement à la grâce, l'amnistie, qui, selon lui, ne peut être décrétée que par une loi, efface totalement l'infraction. Des réserves En ce sens, les condamnés amnistiés vont, dans ce cas, se retrouver dans le costume de personnes qui n'ont jamais été condamnées pour quoi que ce soit. Pour Me Brahimi, le chef de l'Etat, à travers sa proposition, ne vise que les faits liés à la guerre civile vécue par le peuple algérien durant la dernière décennie. Notre interlocuteur a affiché, par ailleurs, une certaine réserve concernant les limites de cette mesure. Ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité en se rendant coupables de génocides, notamment ceux de Bentalha et de Raïs, seront-ils concernés par cette mesure ? « Pour les juristes du monde entier, les crimes contre l'humanité ne sont pas amnistiables », a-t-il relevé avant d'ajouter que le code algérien n'a pas abordé le cas des crimes contre l'humanité. Dans un entretien accordé récemment à notre confrère Liberté, Me Mohand Issaâd, professeur en droit international, a estimé que « l'amnistie générale consiste à effacer les condamnations ou les faits pour lesquels on est susceptible d'être poursuivi pénalement ». Me Issaâd a précisé, par ailleurs, que cette mesure « n'est pas un problème juridique, elle représente plutôt un instrument juridique au service de l'opportunité politique ». Selon lui, « l'amnistie générale vise une catégorie d'infraction et non pas un cas particulier (...). Elle concerne généralement des actes ou des gens qui n'ont pas porté une grave atteinte à la société ou à l'économie nationale ». Cette remarque est d'autant plus importante que les limites juridiques qui seront assignées à cette mesure en seraient, le cas échéant, le véritable casse-tête. Me Issaâd est formel ou presque quant aux limites juridiques de cette mesure : « Le président de la République a affirmé à plusieurs reprises que l'amnistie ne peut pas être étendue à ceux qui ont du sang sur les mains. » Concernant les autres délits (les harkis, l'affaire Khalifa...), entre autres catégories qui seront probablement touchées par la mesure d'amnistie, les explications du professeur Issaâd dénotent une circonspection somme toute légitime. Pour lui, « l'amnistie comme le problème des harkis sont des problèmes très importants pour se permettre de donner des avis à tort et à travers ». Ainsi, a-t-il soutenu, « on ne peut donner un avis que lorsqu'on saura qui est visé par cette mesure (...). Il ne faut pas mettre sur le même plan les terroristes, les harkis, les délits économiques et les archs ». En tout état de cause, résume Me Issaâd, « la question de l'amnistie doit être pesée soigneusement par ceux qui ont toutes les cartes entre les mains ». Pour peu qu'une telle mesure ne donne pas lieu à de nouvelles complications et qu'elle ne se fasse pas aux dépens de la mémoire des victimes.