Chronique d'un séjour auprès d'une association admirable, à la rencontre de gens dynamiques et chaleureux, dont Aziz Smati, venu de Paris pour apporter son soutien. Six septembre, jeudi, nous avons rendez-vous à la gare de l'Agha à 14h30. Le rapide d'Oran part à 15h précises. Mokrane vient de Tizi Ouzou, Aziz de Paris et nous de Tipaza. Nous devons rejoindre Morad Kertobi de l'association Kaïna-Cinéma et Michèle Mira-Pons, réalisatrice d'un beau film autour de la musique judéo-arabe algérienne, qui, eux, viennent de Paris. Nous nous rendons tous au siège de l'association Santé Sidi El Houari où une vingtaine de jeunes se sont inscrits pour s'initier au cinéma. Le thème du stage est le documentaire musical. Durant une semaine, les Oranais ont eu le plaisir de voir des films autour de grands artistes comme le mythique bluesman malien Ali Farka Touré, la légendaire Oum Kelthoum, l'inoubliable Claude Nougarou, l'icône guinéenne, le djenbéfola Mamady Keïta, le chantre Slimane Azem, et un film sur cheb Khaled, etc. Et comme Oran est le symbole du raï, d'autres films programmés racontent la musique par le biais de la ville ou inversement, la ville par la musique. Ainsi You Will Never Walk Alone, tirant son titre de la célèbre chanson du Club de Liverpool. Ou encore ce film sur la ville américaine de Détroit, jadis capitale mondiale de l'industrie automobile. Les jeunes stagiaires ont eu la surprise de découvrir aussi le film « américain » du réalisateur Mohamed Kounda. Dans Chantz, l'enfant-jazz, le targui algérien vivant en France, a suivi pendant plusieurs années l'enfant Chantz qui, aidé par sa maman, rêve de devenir un nouveau Louis Armstrong. Un documentaire remarquable déjà diffusé sur la chaîne franco-allemande ARTE. Les stagiaires avaient à choisir entre trois ateliers : programmation, communication et enfin réalisation. Ceux qui ont opté pour le dernier atelier, devaient fournir à la fin du stage un film autour de Aziz Smati. Lui, s'est déplacé de Paris afin de parler aux jeunes des émissions qu'il a réalisées pour la radio et la télévision algérienne dans les années 1980 et au début des années 1990. Qui ne se souvient pas de Contact, 100 Pitiés, Local Rock, Bled Musique, des émissions que tout le monde attendait ? Nous étions tous émus à revoir la dernière émission d'Aziz Smati, Rock Rocki et le clip-reportage, genre qu'il a créé, réalisé autour de la reprise de la fameuse chanson de Dahmane El Harrachi, Ya Rayah, par Rachid Taha. Sur fond de la chanson, Aziz, accompagné par son complice et ami Mohamed Ali Allalou, est allé interviewer, à l'aéroport Houari Boumediène, les jeunes postulants à l'émigration en Europe. A cette époque, Aziz ignorait que les menaces qu'il avait reçues des terroristes islamistes allaient être exécutées. « Rockrocki n'a rien à voir avec le rock, c'est un genre musical algérien de l'est du pays », explique-t-il. Les jeunes Oranais étaient surpris d'apprendre que Aziz a été le premier à avoir diffusé de la musique raï sur les ondes de la radio Chaîne III. « La première chanson, c'était Zabana de Raïna Raï. Les responsables de l'époque ne pouvaient pas interdire une chanson sur le premier condamné à mort, exécuté pendant la guerre de libération… Tout de suite après, on a diffusé Ya Zina. Puis suivirent cheb Khaled, cheikha Rimitti… » Samir, un jeune étudiant, comédien de théâtre, demande à Aziz, les larmes aux yeux, s'il a connu cheb Hasni. « Hasni est un phénomène. Je ne l'ai jamais diffusé parce qu'il n'avait besoin ni de la radio ni de la télévision. Il a acquis son immense auditoire sans l'aide de personne. Il est venu me voir à deux reprises et, à chaque fois, il est parti avant que je ne descende le voir. Il était très timide. » Dans le film du stage, l'apprenti cinéaste Sid Ahmed a emmené Aziz au Théâtre de Verdure d'Oran, rebaptisé officiellement Hasni, parce que dans la réalité, il n'y a aucune enseigne renseignant sur la véracité du baptême. « Peut-être qu'ils n'ont pas trouvé les caractères pour écrire Chegroune Hasni », ironise Aziz. Et d'ajouter : « Il est inimaginable qu'il n'y ait aucune rue ou lieu qui s'appelle El Anka, ou Djilali Aïn Tadlès alors que le pays est plein de cités qui s'appelle 1250 Logements, 535 Logements, et que sais-je encore ? » Un hôpital culturel L'association SDH a été fondée en 1991 par un groupe d'architectes, de médecins, d'infirmiers sur le lieu de l'ancien hôpital militaire, construit en 1843 pendant la conquête coloniale (voir photo ci-joint) et couvrant 6000 m2. En 1991, l'hôpital était à l'état d'abandon. L'association s'est mobilisée pour le restaurer. Depuis, 2000 tonnes de déchets et de gravats ont été évacuées à mains nues car l'endroit est inaccessible aux camions. L'association forme ainsi des jeunes du quartier de Sidi El Houari dans les métiers anciens, nécessaires à la restauration des sites historiques : taille de pierre, maçonnerie ancienne, ferronnerie, forge, sculpture, etc. Ce sont eux qui ont découvert, sous l'hôpital, le hammam du Bey Bouchlaghem d'Oran, datant du XVIIIe siècle. Actuellement, SDH s'emploie à créer un centre culturel important, d'où la domiciliation de notre stage. Ils ont déjà un orchestre de musique andalouse. Aujourd'hui, l'endroit est propre ; il contraste violemment avec les bâtisses de l'ancien quartier dans un état de délabrement inimaginable. En fait, presque toute la ville d'Oran donne l'impression d'une ville abandonnée. C'est choquant. En face du siège de SDH, des graffitis sont inscrits sur un vieil bel immeuble de Sid El Houari tels « Sauvez-nous » ou « Oui à la vie, non à la mort ». Trop tard ! L'immeuble s'est effondré en juillet dernier, sans pertes humaines fort heureusement. Le mur sur lequel sont inscrits les tags se tient encore, comme pour témoigner en dépit de tout. Sur sa chaise roulante, Aziz avait beaucoup de difficultés à rouler. Les trottoirs sont défoncés, les pentes pour handicapés inexistantes. Ni toilettes ni places de parking, rien n'a été fait pour les handicapés de ce pays. Les jeunes ont intitulé avec humour et admiration leur travail cinématographique Aziz, le top model. Consciemment ou inconsciemment, ils ont évoqué Hasni et Alloula sans que leur film ne soit triste. Pince sans-rire, Aziz a le talent et l'intelligence de détourner les situations les plus graves pour les dédramatiser et les rendre agréables à voir ou à écouter. Il n'y a qu'à regarder sur son site web, bledconnexion.com, le clip qu'il a réalisé pour Jimmy Wahid, Rasta Melody, pourtant tourné du côté de Bentalha. Un autre jeune stagiaire a vite composé une chanson rap qu'il a interprétée avec un goumbri. « Le jour de l'amour est devenu le jour de l'horreur », dit le refrain. Aziz avait raconté quand le 14 février 1994, jour de la Saint-Valentin, alors qu'il attendait un taxi à Chéraga, un jeune, portant un classeur sous le bras est venu lui demander s'il était Aziz Smati. « Je croyais qu'il était jeune chanteur et qu'il allait me donner une cassette à diffuser comme j'avais l'habitude d'en rencontrer. » Le jeune sort son arme et lui tire quatre balles en plein thorax. Il l'a tué mais… Aziz n'est pas mort. Rock The Kasba est le titre du prochain film d'Aziz Smati. Un rail-movie comme il le définit. En deuxième repérage, il était surpris de trouver dans le train, au lieu des agents de sécurité, de belles hôtesses distribuant le thé et les journaux gratuitement. « Je suis en retard de 10 ans sur la vie en Algérie », déclara-t-il spontanément. En ce moment, il cherche les financements pour réaliser ce film. Il serait très logique qu'il trouve les fonds nécessaires du côté du boulevard des Martyrs, si ce n'est pas de celui du Plateau des Anasser, ou même de notre compagnie des Chemins de fer dont il a apprécié l'évolution.