L'ancien chef du gouvernement en 2000, Ahmed Benbitour, a, lors de sa conférence de prospective la semaine dernière, vertement critiqué la signature de l'accord d'association avec l'union européenne en 2001 par les président Bouteflika « juste pour se montrer dans une capitale étrangère » pour son volet « produits industriels ». L'ancien chef du gouvernement répondait à une question au sujet de l'adhésion à l'OMC. Le pire, selon lui, était donc déjà fait depuis 2001, avec l'acceptation de la mise en concurrence ouverte de la production industrielle algérienne avec celle de l'Union européenne, entrée en vigueur le premier de ce mois de septembre. Hasard du calendrier, dans la même semaine, l'Union européenne est venue en remettre une couche. Bruxelles a lancé une proposition de directives sur le marché de l'énergie, qui poursuit le but déclaré de se prémunir du monopole des majors européens de l'énergie, mais accommode au passage un train de conditionnalités qui limite la pénétration des fournisseurs d'énergie « tiers » vers l'aval du marché, là où se réalisent les plus belles marges bénéficiaires. Pour vendre directement du gaz en Europe, ce qui est prévu en France dès 2010 pour Sonatrach, il faudra largement partager management et dividendes sur les gazoducs qui y amène le gaz et dans les sociétés de distribution qui le répercuteront vers le consommateur. Le ministre de l'Energie algérien, Chakib Khelil, a choisi de rester zen devant « le débat ouvert en Europe ». Pour lui, Sonatrach et l'Algérie ne sont pas concernés, parce que l'amont tout autant que l'aval de l'activité produits pétroliers de celle du gaz et de l'électricité sont ouverts à la concurrence. Les Européens peuvent y opérer librement. Il n'y aurait pas de raisons donc que les Algériens ne puissent faire de même sur le marché européen de l'énergie. Selon M. Khelil, les restrictions qui se profilent pour opérer dans le transport, la distribution et la vente de gaz en Europe visent surtout Gazprom qui se serait conduit en opérateur hégémonique sur les gisements russes. Sonatrach et Sonelgaz ont été « partageuses » et donc seront traitées différemment. Optimisme justifié ? Il faudra sans doute attendre pour juger. Mais des leçons peuvent déjà être tirées tout de suite. La première est que l'accès à un marché important est une arme de négociation que les autres utilisent, pas l'Algérie. La Chine surfe sur cette vague depuis trois décennies, et cela continue. Bien sûr, le marché algérien ne joue pas dans la même cour. Mais à bien y regarder, lorsque l'accord d'association a été signé, l'enjeu de l'importation des produits industriels finis sous le régime de « l'avantage tarifaire » paraissait secondaire. Le prix du pétrole était bas et les importations algériennes aussi. Les négociateurs algériens pensaient peut-être qu'il en serait toujours ainsi. Aujourd'hui, la donne est chamboulée. Les capacités d'achat de l'économie algérienne ont explosé. Il existe un prisme déformant en faveur des importations industrielles européennes. Au détriment du made in Algeria. La seconde leçon est qu'il sera difficile de maintenir une politique de la symétrie réglementaire entre l'Algérie et l'Union européenne qui paraît être la réponse stratégique du ministre algérien de l'Energie. Pour l'heure, la première a anticipé l'ouverture de son secteur énergétique plus que la seconde, ce qui permet à Chakib Khelil, l'artisan de cette ouverture, de parler plus à l'aise que son homologue russe. Mais dans le même temps si Bruxelles déployait tous les contenus de ses propositions de directives, c'est l'Algérie qui ne présenterait plus les mêmes dispositions « libérales ». Le libre accès au réseau de distribution de gaz et d'électricité existe en théorie dans la loi. Il n'est pas mis en œuvre et la concurrence dans la distribution effective du gaz et de l'électricité n'est pas prête de devenir effective. Bruxelles peut l'exiger demain avant de laisser Sonatrach vendre sous les conditions de séparation d'activité annoncées ses produits directement sur le marché européen. Au jeu de l'ouverture, l'Algérie ne pourra pas suivre l'UE aussi vite, aussi loin. Elle n'a, en vérité, aucune garantie réelle pour que Sonatrach soit épargnée par la herse posée sur la route des fournisseurs tiers. Aucune garantie en dehors de son statut de fournisseur majeur. Comme il est inélégant de brandir la menace « poutinienne » de réduction des approvisionnements, alors il semble urgent pour une fois d'attendre et de réfléchir sur le prix des tickets d'accès au marché algérien. Pour les produits industriels, attendons que Ahmed Benbitour aille au bout de sa pensée…