En cette soirée ramadhanesque du jeudi 27 septembre, la grande salle de la maison de jeunes s'est avérée étroite devant la nombreuse assistance venue se recueillir à la mémoire de cet éducateur de talent qui nous a quittés le 27 août 1989. Ils étaient tous là : ses proches, ses anciens élèves devenus quinquagénaires pour la plupart, des collègues retraités de l'éducation, des anciens camarades des SMA de la belle époque. Le programme concocté pour la circonstance a restitué les différentes activités périscolaires que l'ancien directeur du CEG - Collège d'enseignement général pour les non-initiés – aimait organiser de son vivant à l'intérieur de l'établissement. C'était durant les années 1960/1970. Un menu riche à la hauteur des idées défendues de son vivant par cet ancien normalien de la promotion 1948 : poésie, théâtre, chorégraphie, chants andalous. Le CEG de Baranès de cette époque a vu transiter sur ses bancs une soixantaine d'élèves qui par la suite sont devenus des artistes, musiciens, chanteurs, peintres, comédiens. Une véritable pépinière de talents couvés par le génie et l'affection d'un pédagogue hors pair. Sa renommée, le collège la doit aussi à ses bons résultats scolaires et au sérieux de son fonctionnement. Il fut érigé en établissement d'application annexé à la fameuse Ecole normale voisine de quelques dizaines de mètres. Les locataires de ce temple de la pédagogie - ceux d'avant 1971, année de son changement de statut, l'Ecole normale devenant un ITE (Institut de technologie d'éducation – se souviennent du directeur à la silhouette altière qui les attendait au portail d'entrée. Bien avant l'arrivée des élèves. Le défunt Mohamed Derouiche était aux petits soins avec les stagiaires normaliens. Des témoignages ont convergé pour saluer les valeurs universelles qu'il incarnait dans le quotidien de sa profession. La synthèse est toute trouvée en le qualifiant d'« homme d'honneur et de rigueur ». L'émotion du souvenir et de la nostalgie n'a pas occulté l'objectif premier de ce genre de manifestation. En effet, tout au long des débats qui ont suivi les témoignages, un leitmotiv revenait sur toutes les lèvres : que faire pour renouer avec ces valeurs de probité, de travail soigné, de solidarité et de respect mutuel entre les citoyens ? Les médailles remises en fin de soirée ont suscité des sentiments de satisfaction. Les récipiendaires sont tous des retraités de l'éducation ou anciens élèves du défunt. Le geste qui les honore traduit la profonde reconnaissance pour les sacrifices endurés dans l'exercice d'une profession noble mais ingrate. Ils étaient beaux à voir ces retraités en pleine force de l'âge pétillant d'intelligence et de sagesse. Que de services ils peuvent encore rendre aux jeunes générations ! Le clou de la soirée a été incontestablement l'hommage posthume rédigé à partir de sa ville natale de Khemis Miliana par Mohamed Yahi inspecteur à la retraite. Son texte nous invite à méditer ce que le pays et la société perdent au change en marginalisant ses éducateurs. Ici des passages : « (..) Elève – maître à l'Ecole normale de Bouzaréah, tu as été pour nous tes camarades de promotion, un aîné, un guide, un modèle de vertu et de bonté. Qu'elles étaient enflammées nos discussions culturelles et pédagogiques de jeunes instituteurs souriants à leur future vie d'enseignant. Educateur, tu as donné le meilleur de toi-même à ces âmes ingénues qui t'étaient confiées. Directeur de collège, tu as guidé, soutenu et préparé à la vie des générations de jeunes hommes et de jeunes filles qui aujourd'hui pleurent un maître aimé et respecté. Comment ne pas évoquer notre rallye scout et estudiantin de 1950 à Tlemcen. Comment taire en tant qu'anciens responsables nationaux de la MGEN (actuelle Munatec) tout ce que te doivent notre mutuelle et nos mutualistes ? Comme tous ceux qui pieusement sont morts au service de l'éducation, tu as droit que sur ta tombe des éducateurs viennent et prient. » Bio Express Mohamed Derouiche est né le 27 janvier 1924 à La Casbah d'Alger. Il est le fils unique d'une famille modeste originaire de Betrouna sur les hauteurs de la ville de Tizi Ouzou. Déjà à l'école primaire Brahim Fatah de Bab Ejdid, il disait à sa mère : « Je rêve de devenir instituteur pour éduquer les enfants pauvres du quartier. » Il obtient son CEP en 1938, son Brevet en 1944 au collège Sarrouy et son baccalauréat en 1948 au lycée Bugeaud (l'actuel Emir Abdelkader). Dès l'adolescence, il milita dans les rangs du PPA. Ses activités de militant de la cause nationale (collecte de fonds, médicaments, informations en milieu urbain) lui valurent des mesures disciplinaires en 1957 et 1961. Il connut la prison et la torture. La même année, il passe son concours d'entrée à l'Ecole normale d'instituteurs de Bouzaréah et y décroche son Certificat d'aptitude professionnelle en 1949. 1949/1950 : premier poste à Orléanville (El Asnam). Il sera vite de retour sur Alger. Il prend poste à l'école primaire de son enfance jusqu'à l'indépendance du pays (1950/1962). Il rejoint le collège Baranès (actuel Omar Lagha) pour assurer la direction jusqu'à sa retraite en 1978. Le défunt avait associé à sa profession d'instituteur une autre facette, celle de chef scout. Une autre grande famille qu'il fréquente de 1941 - en tant que membre du groupe El Kotb des Eclaireurs musulmans algériens à 1965. Il quitte les SMA pour incompatibilité de convictions avec les responsables politiques de l'époque. Lui est resté fidèle à la mission d'éducation du mouvement scout. Les autres en faisaient une caisse de résonance et appendice du régime. Il a laissé pour la postérité un ouvrage de référence Scoutisme : école du patriotisme - ENAL –OPU 1985.