Le directeur général de Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), Kacem Mohammed, aborde dans cet entretien la situation difficile que connaît actuellement le marché des céréales, en conséquence à la la flambée des cours à l'échelle mondiale. Le prix du blé connaît une hausse vertigineuse sur le marché international, à quoi cela est-il du selon vous et quelles retombées sur l'Algérie, grand importateur de céréales ? Le marché mondial des céréales est actuellement très tendu, caractérisé par des cours du blé qui ont atteint des niveaux record. Les rasions essentielles sont d'abord l'altération de la production mondiale cette année compte tenu des conditions climatiques très défavorables au moment des moissons, notamment dans les pays producteurs européens. Mais aussi, et à mon avis, c'est l'élément le plus important, une demande qui ne cesse d'augmenter soutenue par une forte utilisation des céréales dans les biocarburants, c'est-à-dire les énergies renouvelables. Jusque la, nous avons analysé le marché mondial sur deux volets, à savoir le volet relatif aux conditions climatiques et le volet parité euro/dollar qui influe aussi sur le niveau des prix étant donné que le blé est un produit boursier. Mais nous assistons ces dernières années à un élément d'analyse important qui est celui de l'utilisation de grandes quantités de céréales (comme le maïs) pour la fabrication des huiles et de biocarburants. Ces quantités soustraites de la consommation humaine et animale sont compensées des quantités de blé créant un déséquilibre du marché. A mon avis, l'utilisation des céréales pour les biocarburants va nous amener très loin, et va en s'accentuant face aux faiblesses des stocks mondiaux. Il faut rappeler que ces trois dernières années, les stocks mondiaux au niveau des cinq grands pays producteurs sont en chute libre. Les prévisions pour le stock de 2008 seront à un niveau jamais atteint comme plus bas niveau. Ca devient inquiétant. Sans être alarmiste, et si par malheur il y aura un accident climatique pour la production 2008, ça sera très grave sur le plan mondial. Même la production mondiale en 2007 est très faible avec en prime une qualité très médiocre. Et il devient de plus en plus difficile de trouver sur le marché international un produit de qualité répondant à notre cahier des charges. Qu'en est-il des retombées sur le marché national ? Au niveau de l'OAIC, nous avons acquis une grande expérience, après 44 années d'existence. Nous n'achetons pas au jour le jour. Nos appels d'offres d'achat étaient préparés au moment où le produit était au stade de végétation. Nous avions fait des achats avec un meilleur rapport qualité/prix. Nous avons une vision à long terme. Nous avons acheté des quantités importantes. Et à la faveur du plan national de développement agricole, la production nationale est là, et contribue à la satisfaction de la demande nationale. En 2006, nous avions fait une collecte de4,2 millions de tonnes contre 3,5 millions de tonnes en 2005. Pour cette année, et le ministre en a fait récemment l'annonce, la récolte est de 4,3 millions de tonnes. Comme les besoins nationaux varient entre 6 à 7 millions de tonnes par an, nous pouvons dire que l'apport de la production nationale est loin d'être négligeable. Et c'est grâce à la production nationale que l'Algérie s'est déclassée comme plus gros importateur de blé dans le monde, pour arriver à la 7e ou 8e place. Concernant les prix, les niveaux tournent autour de 460 dollars US la tonne pour le blé tendre et 640 dollars US la tonne pour le blé dur. Sur le marché local, l'OAIC pratique des prix calculés lors d'un achat effectué en mars 2003 à 122 dollars US la tonne, qui revient à 1285 dinars. Ce prix est maintenu jusqu'à aujourd'hui. Il le sera pour demain et après demain. Il n'y a pas de risque d'augmentation parce que les pouvoirs publics interviennent pour soutenir le blé tendre. Et je tiens à rassurer nos concitoyens pour leur dire qu'il n'y aura pas d'augmentation du prix de la farine. D'autant plus qu'il y a un décret exécutif qui a fixé les prix de cession du quintal de blé aux minotiers et le prix de cession du quintal de farine aux boulangers et grossistes. Le quintal de farine est fixé à 2000 DA . Le minotier le prend à 1285 DA de l'OAIC. La revente au-delà des 2000 DA fixée par l'Etat est interdite. Pour ce qui de la semoule, le prix sur le marché international est à 642 dollars US la tonne, soit un prix de revient au quintal de l'ordre de 5460 DA. Nous, nous le cédons aux transformateurs à 2280 DA le quintal. Ce différentiel est supporté par l'OAIC parce que pour le blé dur on ne bénéficie pas du soutien de l'Etat. C'est un produit libre. Doit-on alors comprendre que le prix de la semoule ira crescendo pour atteindre son prix réel sur le marché international ? Pour l'instant nous avons des stocks pour de longs mois et nous gardons les prix à ce niveau là. Aucune augmentation n'est envisagée pour l'instant. Mais nous allons demander la subvention de l'Etat pour le blé dur, puisque la situation devient aussi préoccupante que pour le blé tendre. Certains intervenants du marché considèrent que vous importez du blé de qualité inférieure ? Nous avons un cahier des charges qui est le top des tops. Il n'y a pas un autre cahier des charges semblable de part le monde. Et là, j'insiste pour dire que la qualité des produits que nous importons est de très bonne qualité. Parce que nous avons une responsabilité. Nous devons assurer un minimum de protéines à nos concitoyens, sinon ça se répercutera par la suite sur la facture des médicaments. Nous avons des contrôles très stricts au chargement, à l'arrivée des navires avec les services publics phytosanitaires, DCP, etc. Et nous avons également notre propre infrastructure de contrôle de la qualité, qui est de rang international. Comment l'OAIC arrive t-elle à faire des profits en maintenant des prix bas, comme vous le dites ? L'OAIC est en train d'assurer une mission de régulation. Dans nos statuts, nous avons une mission commerciale dans une situation normale, et une mission de régulation dans des situations difficiles. Nous sommes en train d'assumer notre mission de régulation de blé tendre depuis janvier 2004, et je pense que nous avons bien assumé notre mission puisqu'il n'y a jamais eu de problème d'approvisionnement ou de pénurie signalée. Mais, sachez que nous n'avons pas le droit de vendre à perte comme le stipule à juste titre le code du commerce. Le différentiel pour le blé tendre est pris en charge par l'Etat. Nous préparons désormais un dossier pour la prise en charge du différentiel pour le blé dur. Pourtant certains transformateurs dans la filière se plaignent d'un manque d'approvisionnement de votre part. Les transformateurs qui sont en activité jusqu'au mois d'août sont approvisionnés. Quant aux nouvelles créations, reconversions ou extensions, leurs dossiers ne peuvent être pris en charge dans cette situation de crise. Ils savent que nous sommes dans une situation difficile, mais ils nous créent des situations nouvelles. Nous livrons actuellement environ 2,9 millions de quintaux par mois. Nous couvrons très largement les besoins nationaux, et nos capacités de trituration dépassent de deux fois la demande. Certes, il y a des spéculateurs notamment durant ce mois sacré, mais la situation est maîtrisée. Mais il est de notre devoir de préserver les deniers publics, puisque le différentiel c'est l'Etat qui le prend en charge. Pour le blé dur, nous continuons à mettre sur le marché les mêmes quantités, et je dirais même plus qu'avant, puisque nous sommes passés de 700 à 800 milles quintaux par mois à 1,285 millions quintaux par mois. On apprend que les prix de la semoule ont augmenté, mais cette augmentation n'est pas justifiée puisque le produit de base n'a pas changé localement. Est-ce que l'OAIC dispose d'une bonne logistique à même d'assurer convenablement sa mission ? Et quelles sont vos parts de marché ? Nous sommes bien organisés, et même avec des infrastructures limitées, nous faisons face et maîtrisons la situation, et ce, en sensibilisant notamment le personnel. Mais, il y a un travail à faire par d'autres services spécialisés qui doivent débusquer les spéculateurs. Et à ce titre, je lance un appel à tous les opérateurs et intervenants dans ce créneau pour nous aider à surmonter ensemble cette situation. Quant aux parts de marché, elles sont de 100% pour le blé tendre et à 99% pour le blé dur. Pourtant, nous ne nous sommes pas dans une situation de monopole puisque le marché a été ouvert à la concurrence en 1997. A l'époque, il y avait beaucoup d'importateurs qui se sont lancé dans ce créneau, mais ils se redéploient vers d'autres produits en temps de crise. L'OAIC a aussi une mission de soutien à la production. Où en est la production de blé actuellement ? D'année en année, la situation s'améliore. Dans le cadre du PNDA, plus de 350.000 unités ont bénéficié d'un soutien et d'un travail d'accompagnement sur les 700.000 entités recensées. Les superficies emblavées chaque année tournent autour de 3 millions d'hectares. Maintenant, il faut agir sur les rendements dont les taux restent faibles. Pour ce, les agriculteurs ne doivent pas revendre les produits phytosanitaires, engrais, etc. comme ils ne doivent pas utiliser leurs propres semence, non traitées, et qui donne un produit infesté de maladies. Avec une moyenne de 20 quintaux à l'hectare, on couvrira tous les besoins nationaux. Aujourd'hui, nous sommes autour de 10 à 12 quintaux l'hectare. Il y a des efforts à faire dans ce sens. Notre production dépend encore de la pluviométrie même si le secteur est en train de se pencher vers des systèmes d'irrigation d'apport. Des pays ont essayé de régler le problème des surfaces en investissant dans le désert. Y a-t-il des projets dans ce sens ? Il y a des expériences dans le sud sur de petites surfaces et ça a donné de bons résultats. Mais pour de grandes surfaces, il faut beaucoup de moyens. Pour que ça soit rentable, il faut un niveau de rendement assez élevé pour couvrir les charges d'exploitation puisque tout est à base d'énergie électrique. Il faut pomper de l'eau sur des pivots de 300 à 400 mètres de profondeur, ce qui est loin d'être évident. Cependant, ça reste dans le domaine du possible, et des partenaires étrangers sont mêmes intéressés par une telle expérience. Il viendra le temps d'en parler. De toute les façons, il faut une étude économique pour évaluer le coût de revient du produit. S'il dépasse le prix à l'importation, vaut mieux alors continuer à importer. Quels sont les fournisseurs de l'OAIC en blé tendre et dur ? Pour le blé dur, nous avons un seul partenaire qu'est la commission canadienne du blé, avec qui, nous entretenons des relations d'une trentaine d'années. C'est un partenaire privilégié qui nous vend avec des prix très acceptables. Pour le blé tendre, nous achetons là où l'intérêt du pays le recommande : Europe, Etats-Unis, ou autres.