Affichage électronique des affaires en cours devant la salle d'audience, guichet unique à la réception, travaux d'embellissement, informatisation des services, la cour d'Oran fait sa mue et le même schéma va bientôt être appliqué à tous les tribunaux. Une année après son installation, le procureur général près la cour d'Oran, M. Zoghmati, artisan de cette initiative motivée principalement par le souci de rendre fluide le fonctionnement de la justice vis-à-vis du justiciable, dresse un premier bilan et s'exprime sur d'autres aspects. Pouvez-vous nous donner un aperçu des réformes structurelles de l'instance judiciaire entreprises localement ? J'ai pris mes fonctions le 5 novembre 2003. Après un temps d'observation, j'ai tout de suite remarqué qu'il y avait une mauvaise organisation alors qu'on disposait de moyens suffisants pour la rendre fonctionnelle, à la hauteur de la mission qui lui était assignée, sachant qu'elle est à vocation régionale. Il y a d'abord les moyens humains. Nous avons 45 magistrats et un personnel greffier d'une centaine d'éléments en plus d'autres éléments d'appoints venant du secteur de l'emploi de jeunes, du pré-emploi, du filet social et des agents détachés de l'administration pénitentiaire : 170 personnes en tout. Nous disposons d'un budget de fonctionnement conséquent, mais les rouages de la cour n'étaient pas bien huilés et les citoyens vivaient un véritable malaise qui se traduisait par des va-et-vient incessants entre les différents services. Il fallait donc agir, d'autant plus que la cour d'Oran, la deuxième à l'échelle nationale après celle d'Alger, a une vocation régionale. Ces disfonctionnements étaient impardonnables. Qu'est-ce qui a été entrepris au juste pour rendre facile la vie des citoyens qui se rendent au palais de justice ? Nous avons d'abord introduit l'outil informatique, une expérience qui a déjà donné ses fruits à Sétif d'où j'ai été muté. Au bout de quelques mois, le visiteur a pu déjà se rendre compte de lui-même des progrès qui ont été faits dans ce domaine. D'un autre côté, avec l'aménagement du guichet unique, nous avons instauré un contact direct avec le public avec, en plus, le souci de la transparence pour tout ce qui concerne les renseignements, les arrêts, etc. Enfin, un greffe de la cour a été créé car, structurellement parlant, il n'existait pas auparavant. Il arrive, par exemple, que, pour un justiciable désireux de rassembler un certain nombre de documents dont il a besoin, il lui fallait toute une journée alors qu'avec une bonne organisation, il suffit d'une dizaine de minutes. Le greffe était disloqué et une certaine anarchie régnait à ce niveau. D'où l'idée de rassembler l'ensemble des services en relation directe avec le justiciable : l'action, les voies de recours, le renseignement et, enfin, la remise des arrêts et décisions de justice. L'accès au greffe a donc été interdit et c'est pour mettre un terme à toute spéculation éventuelle. Comme vous avez dû le constater, nos agents sont maintenant identifiables avec chacun son badge et sa place. Revenons à l'opération de l'informatisation, mais avec plus de détails ? L'informatisation a concerné les dossiers judiciaires : la saisie de l'ensemble des rôles pénaux, civils, criminels, ainsi que les chambres d'accusation. Cette opération a été menée entre novembre 2003 et janvier 2004. A partir de cette date, la remise des documents, comme les arrêts et décisions de justice, s'effectue désormais avec l'outil informatique. Le parquet général a également été informatisé. Il nous reste un seul dossier, celui lié à l'exécution des peines. Sinon, nous sommes en train de réfléchir sur la possibilité d'accéder à la gestion électronique des archives. A ce propos, il faut savoir que la cour est dépositaire d'un véritable trésor qui couvre la période allant de 1956 à nos jours. Les documents sont regroupés et classés et peuvent être mis à la disposition des étudiants, chercheurs ou simples citoyens intéressés par des jugements anciens par exemple. Qu'en est-il des autres tribunaux ? Ce qui a été réalisé à la cour va être généralisé aux six tribunaux. A Es Sénia, les travaux de maçonnerie seront bientôt achevés ; à Ain El Turck aussi. Ainsi, dès la fin novembre, nous allons entamer la phase organisationnelle. Le même schéma va être transposé partout et, dès la fin janvier 2005, nous aurons réglé un énorme problème. La justice étant avant tout un service public, le citoyen ne pourra qu'être soulagé. La grève déclenchée il y a quelques mois était-elle en rapport avec ces changements ? Cela n'a pas été facile au début. Ce que nous avons entrepris a dérangé beaucoup de gens et je peux vous dire que nous avions même frôlé des tentatives de sabotage. Quand on veut bousculer les mentalités, il faut s'attendre à des réticences. Mais, avec le temps, tout a fini par rentrer dans l'ordre. Où on est-on avec le projet de la nouvelle cour ? Ce projet a été inauguré par le président de la République, en février. Les travaux grand béton seront réceptionnés à la mi-décembre, mais l'édifice lui-même ne sera réceptionné qu'en juillet 2005. Je peux dire qu'Oran n'avait pas de tribunal car sa gestion est éparpillée entre Es-Sedikkia pour le parquet, la présidence et le greffe, Gambetta pour ce qui relève du civil, Sidi El Bachir pour le statut personnel et, enfin, Benzerdjeb pour le pénal. Quels sont les mécanismes mis en place pour lutter contre la corruption ? (Référence faite à l'information selon laquelle un magistrat a été interpellé pour corruption.) Il est utopique de dire que cela se fera du jour au lendemain. C'est un mal qui continuera à sévir et personne ne pourra dire que ce fléau n'existe pas. C'est un mal très grave et le combat s'annonce de longue haleine. Il ne faut pas baisser les bras. Cependant, on peut également affirmer que ce fléau est en baisse. La formation est le thème récurrent de ces dernières années. Qu'est-ce qui a été introduit de nouveau ? Hormis la formation continue qui commence dès le recrutement des juges, il y a ce qu'on appelle les formations spécialisées, assurées en collaboration avec des compétences étrangères dans plusieurs pays dont la France, la Belgique, les Etats-Unis et quelques pays arabes. Les magistrats de la cour d'Oran on été concernés par des spécialités acquises avec le partenaire belge dans le domaine de l'administration, le foncier et le social. L'introduction de la spécialisation est l'une des exigences du changement d'orientation du modèle économique et politique opéré en Algérie. Les formations dispensées durant les années 1970 sont devenues obsolètes. En plus, on vient juste de prendre conscience que l'élément humain est l'axe le plus important de la politique de réforme de la justice qui ne peut elle-même rester à la marge des mutations locales et mondiales. L'opinion publique accorde une importance particulière à certains dossiers comme les scandales financiers, source de corruption et d'autres fléaux. Où en est-on à Oran avec l'affaire de la BCIA ? Tout en tenant compte du secret de l'instruction, on peut dire que, pour nous, il s'agit d'une procédure normale traitée par la chambre d'accusation saisie de l'affaire. Cette affaire porte atteinte à l'économie nationale en tenant compte, en plus, du fait que la victime est une banque de capitaux nationaux relevant du domaine public. D'où les chefs d'accusation portant sur le détournement de deniers publics et l'usage du faux. Lorsque des présumés coupables de détournements ont pu se rendre à l'étranger, l'opinion publique a considéré que ces derniers avaient bénéficié de certaines largesses. Qu'en est-il en réalité ? Quatre personnes, si mes souvenirs sont bons, ont bénéficié de la levée de la mesure de conservation judicaire et ont donc pu se rendre à l'étranger. La justice a considéré que les faits pour lesquels elles ont été entendues (l'enquête n'étant pas encore bouclée) ne méritaient pas une limitation de leurs mouvements. Elles ont donc pu récupérer leurs passeports. Mais c'est déjà là une preuve que l'information judiciaire marche et que le dossier avance.