Grande première au Pakistan. Un président élu, et même de manière massive, doit, en effet, attendre une décision de la Haute cour de justice. Et un tel arrêt ne sera rendu que le 17 de ce mois. Elle doit, en effet, statuer sur les recours introduits à la veille-même du scrutin de samedi, par des adversaires du président sortant – mais depuis samedi réélu – Pervez Musharraf. Un délai jugé trop long. Encore que là n'est pas la question. Car celle que se posent les Pakistanais a trait à la décision que prendra la justice pakistanaise. Et si elle venait à invalider le résultat du scrutin ? Se demande-t-on ? Ce qui constitue une des deux probabilités, mais avec quelles conséquences sur le pays qui connaît déjà de dangereuses fractures. Ainsi donc, le Pakistan, où le chef de l'Etat Pervez Musharraf a remporté samedi la présidentielle haut la main, et qui connaît une violence devenue récurrente, doit curieusement attendre au moins dix jours pour que la Cour suprême se prononce sur son éligibilité, une situation juridique et politique lourde de menaces. C'est le sentiment des Pakistanais, lassés par tant d'incertitudes au demeurant entretenues par le président sortant qui ne s'est engagé que soixante-douze heures avant le vote de renoncer à son poste de chef de l'armée. S'il était élu bien entendu. « Le général Musharraf a remporté une victoire attendue, mais cela ne va sûrement pas dissiper les incertitudes politiques qui planent sur un pays qui a vécu plus de la moitié de ses 60 ans d'existence sous la férule de militaires putschistes et le reste avec les gouvernements civils qui leur demeuraient soumis », a résumé la politologue Nasim Zehra. M. Musharraf a pris le pouvoir il y a huit ans par un coup d'Etat sans effusion de sang. La plus haute juridiction du Pakistan a, en effet, ordonné que les résultats de l'élection ne soient pas proclamés avant qu'elle ne statue sur des recours de l'opposition. La Cour est appelée à se prononcer à la fois sur l'éligibilité du général Musharraf et sur la validité même du scrutin. Quelque 30% de parlementaires de l'opposition avaient démissionné de toutes les assemblées qui ont élu samedi M. Musharraf pour protester contre sa candidature et ont dénoncé une « élection truquée ». M. Musharraf a promis d'abandonner son poste de chef d'état-major des armées, mais une fois élu seulement et d'ici au 15 novembre, considérant que la Constitution ne lui imposait pas de le faire avant la présidentielle, comme le fait valoir l'opposition devant la Cour suprême. Mais « il serait extrêmement surprenant que la Cour suprême ne valide pas sa victoire », a estimé Hasan Askari, ancien professeur de sciences politiques de l'université de Lahore. « Dans le cas contraire, il y aura une crise majeure dans le pays », a-t-il averti. Et c'est cette alternative que personne ne veut envisager, et qui alimente toutes les discussions. M. Musharraf a refusé de dire, samedi, ce qu'il ferait si la haute juridiction devait annuler l'élection, mais la rumeur court qu'il déclarerait la loi martiale. Le général imposerait « une loi martiale chirurgicale », a confirmé une source proche de la présidence. Des mesures seraient prises contre certaines institutions, afin de tenter d'éviter au maximum toute situation chaotique, a expliqué cette source. Le général Musharraf a plusieurs fois été tenté d'imposer des lois d'exception. Mais sa victoire à l'élection présidentielle a été saluée par son Premier ministre comme « une nouvelle étape dans l'histoire démocratique du Pakistan ». Et l'enjeu principal dorénavant est le scrutin législatif prévu début 2008, au suffrage universel direct. Le camp Musharraf n'est, en effet, pas assuré de remporter la majorité nécessaire pour gouverner. C'est dans cette optique que le chef de l'Etat a amnistié l'ancien Premier ministre Benazir Bhutto des accusations de corruption qui l'avaient poussée à l'exil en 1999, ouvrant la voie à un partage du pouvoir, grâce à une alliance avec son influent parti aux législatives. Le Pakistan s'enfonce-t-il alors dans la zone de turbulences ?