Annoncée en son temps comme une anecdote pittoresque, le fait signifie pourtant la force d'une lame de fond : le plus vieux journal du monde (362 ans), le suédois Post-och Inrikes Tidningar, qui a enterré sa sortie sur papier pour passer à la seule livraison web (www.poit.org) continue d'indiquer résolument une tendance mondiale. Celle de la nécessité vitale pour toute publication soucieuse de rechercher de plus grands auditoires à emprunter la voie de l'Internet. La presse papier, liée encore à l'ère Gutenberg, même si c'est dans un art de faire technique (et esthétique) foncièrement renouvelé, laisse place à l'information en ligne. Le Californien Robert Cauthorn, pionnier en le domaine, définit ainsi la révolution numérique en cours : « Les supports électroniques, qui permettent d'avoir sous la main une information réactualisée à tout moment, seront les nouveaux maîtres du jeu. Les journaux imprimés deviendront anachroniques quand seront disponibles tout à la fois des écrans de haute qualité, peu chers, et des réseaux sans fil généralisés à haut débit. » Parmi les décideurs des plus grands journaux du monde, l'effective mise en ligne de la production – souvent développée, interactive et à flux permanent -, est devenue une lancinante « feuille de route ». Ainsi dès la prise de ses fonctions le directeur de la rédaction du quotidien français Le Monde a affirmé : « Le Net est l'une de mes priorités. C'est, pour la presse quotidienne, l'occasion de reprendre sa place face à la radio et à la télévision. Nos deux rédactions, papier et Web, doivent travailler en étroite collaboration, avec complicité, et non plus au coup par coup. On va les emboîter comme deux étages d'une fusée, de façon à aller à la réactivité du Net et la fiabilité du Monde. Viendra un moment où les internautes se poseront la question de la fiabilité sur le Web. Je revendique pour le Monde d'être un média de référence sur plusieurs supports, dont le Web. » Parmi les questions de fond générées par les mutations en cours il y a celles relatives aux règles économiques, particulièrement celles des ressources des entreprises. Et, pour simplifier, cette question : la production papier étant gratuite tout le temps (à concurrence de capacité d'archivage, et de son accès), quelle est la recette la mieux à même de développer le lectorat d'une publication entre un accès libre à l'ensemble de sa production ou un contingentement soumis à paiement ? Des éléments de réponse à cette question sont fournis par l'actualité. Un premier fait significatif est venu des Etats-Unis : le New York Times est revenu de sa décision, prise il y a près de deux ans, de faire payer son Time select (regroupant sur son site les analyses, éditoriaux et opinions). Désormais ce service est gratuit. Alors que le journal revendique pour ce produit 227 000 abonnés, et une recette annuelle de 10 millions de dollars. De même que le quotidien a annoncé la gratuité de l'accès à ses archives. Le retour au modèle économique de la gratuité a été précédemment appliqué, toujours aux USA par le Los Angeles Times et la chaîne CNN. La règle avérée fiable est la démultiplication des audiences, pour gonfler les recettes de publicité. En France à part la presse spécialisée (dont Les Echos) fonctionnant à la formule tout-payant, le modèle le plus répandu est la gratuité (L'Express, Le Figaro, Libération ou Le Nouvel Observateur). Le Monde mixe la recette par une tarification d'articles après leur troisième jour de sortie. Dans la nouvelle donne concurrentielle démultipliée sur le Net, avec des prix d'édition toujours moins élevés, les journaux sérieux dans le monde se doivent de rechercher la plue value journalistique – et d'abord la mise en perspective de l'info brute – face au fournisseur d'informations Google News et à la torrentielle livraison gratuite des grandes agences d'information.