Depuis son box, Rachid Ramda ne perd pas une bribe de son procès, attentif, toujours en alerte, il se penche fréquemment vers l'un ou l'autre de ses avocats pour attirer leur attention sur un propos ou un autre. Son vocabulaire — il s'adresse à la cour dans un arabe châtié — est minutieusement choisi. Paris (France). De notre bureau Il ne perd pas son calme, se montre parfois ironique ou arrogant. Rachid Ramda est accusé d'avoir « financé » et « supervisé » depuis Londres la vague d'attentats de 1995 en France du Groupe islamique armé (GIA). Son empreinte digitale figure sur un bordereau de virement Western Union de 5000 livres sterling (38 000 FF de l'époque), envoyé à Boualem Bensaïd. Pour l'accusation, Rachid Ramda est aussi le « responsable de la propagande », écrivant à Londres dans le bulletin clandestin du GIA, El Ansar. L'accusation s'appuie sur de nombreux documents saisis chez lui, dont des ordres écrits du GIA et le texte d'un ultimatum envoyé le 27 août 1995 au président Chirac par le GIA lui demandant de se convertir à l'Islam. Boualem Bensaïd et Aït Ali Belkacem, condamnés pour leur participation aux attentats de 1995, reviennent sur leurs déclarations initiales et nient en bloc connaître Rachid Ramda. Bensaïd a refusé de se présenter devant la cour, se prévalant d' un certificat médical. Lors de sa garde à vue début novembre 1995, Bensaïd avait dit : « Elyas nous finance, il est à Londres. » « Elyas est un émir important, nommé par les plus hautes instances du GIA en Algérie. Il faut s'être illustré par des actions violentes marquantes pour être désigné émir », a ajouté Bensaïd dans une autre déposition début novembre 1995. Depuis, il est revenu sur ses déclarations, niant connaître Ramda. Aït Ali Belkacem qui lui s'est présenté devant la cour, a observé la même attitude, reconnaissant toutes les charges pour lesquelles il a été condamné sauf d'avoir reçu de l'argent de Londres, ni connaître Rachid Ramda. Jugé depuis le 1er octobre par la Cour spéciale d'assises de Paris pour complicité d'assassinat et tentative d'assassinat, Ramda tente de semer le doute dans les esprits en jouant des différents alias qui lui sont attribués, s'efforçant de décrédibiliser les enquêtes de police et de personnalité. Il vide El Ansar de son contenu et de son statut d'organe du GIA pour le présenter comme un simple organe d'information, créé par un groupe de jeunes dont lui-même minimise son rôle pour ne se présenter que comme un simple rédacteur. Il compare El Ansar à Combat, le journal de la résistance française. « El Ansar ne dépendait d'aucun mouvement. » « Certains rédacteurs importants rejoignent El Ansar », déclare Ramda et cite le Tunisien Rachid Ghanouchi, le Soudanais Hassan Tourabi. « El Ansar n'était pas une publication algérienne, elle s'intéressait aux informations du monde islamique. Il fallait montrer au lecteur algérien que la dimension algérienne était là, mais qu'il y avait une dimension internationale. C'est pourquoi le FIS a joui d'une sympathie internationale… » « Vu la conjoncture, El Ansar était indispensable pour l'Algérie. » « Vous étiez d'accord avec les propos d'El Ansar ? », lui demande le président Didier Wacogne, faisant allusion aux menaces d'El Ansar contre la France. « Du début jusqu'à la campagne d'arrestations par M. Pasqua, El Ansar n'avait jamais eu l'intention de s'attaquer à un pays quelconque. Après cette campagne, El Ansar a commencé à s'intéresser au sort des musulmans en France », répond Ramda et il ajoute : « Je n'étais pas responsable de ce qui était publié. » Des silences sur la période d'août 1989 au 23 novembre 1993 « Le problème français était conjoncturel, ce qui m'importait c'est ce qui se passait en Algérie et en informer le lecteur. » « El Ansar ne s'adressait pas aux Français, cette publication s'adressait aux Algériens et aux musulmans, jamais El Ansar n'a été anti-français. La France, c'est venu après. » « Je n'avais pas la responsabilité de décider "et à un autre moment" je prends la responsabilité de ce qui était écrit, quoiqu'il en soit. » Maître Holleaux, avocat des parties civiles, parle de « responsabilité à géométrie variable ». L'avocat fait référence à un article du 22 juin 1995 qui annonce les événements à venir. Rachid Ramda : « J'ai dit que j'en prends la responsabilité. » Durant la période d'août 1989 au 23 novembre 1993, Rachid Ramda ne dit rien, si ce n'est sur les 18 mois qu'il affirme avoir passés au Pakistan pour mener « des activités humanitaires » dans la région de Peshawar et dans le nord à la frontière afghane auprès de réfugiés afghans dont le sort l'avait « profondément ému » en regardant un reportage à la télévision, en 1987. Il ne s'explique pas sur les « activités semi-clandestines » au Pakistan qu'il a déclarées aux enquêteurs britanniques. A quelques mois de son arrivée au Pakistan, entre juin-juillet 1990, il est blessé. « Vous avez dit que vous avez été blessé lors de bombardements russes », l'interroge une avocate des parties civiles. « Vous ne m'avez pas suivi », répond Ramda. Le président intervient : « Je ne vous ai pas suivi non plus puisque j'ai noté la même chose. » « Il n'y avait plus de troupes russes », reprend l'avocate. Ramda : « Vous n'étiez pas au Pakistan à ce moment-là. » Comment étiez-vous blessé ? lui demande-t-elle. « Par un obus russe, toute la région frontalière était visée. » « Etre blessé ne signifie pas que j'ai participé à la guerre. Des enfants afghans ont été aussi blessés. » Le président Didier Wacogne à Rachid Ramda : « Vous êtes parti aussi au Maroc, en Libye, en Tunisie, pourquoi n'en avez-vous pas parlé mardi dernier ? » « La Tunisie est un passage obligé pour aller au Pakistan », répond l'accusé. « Je ne l'ai pas mentionné parce que vous m'aviez dit qu'on en reparlera de façon détaillée une autre fois. » « Je vous ai laissé parler pendant 80 minutes, je vous ai dit, on a tout notre temps », précise le président. Rachid Ramda sur son voyage au Nigeria et en Grande-Bretagne : « A l'époque où j'étais au Pakistan, le FIS progressait, beaucoup de jeunes voulaient rentrer au pays, caressant le rêve d'un pouvoir islamique, j'étais de ceux-là. Je voulais rentrer d'abord pour m'excuser auprès de mes parents, pour leur expliquer pourquoi j'étais parti, je voulais rentrer aussi pour participer à cette nouvelle situation », « mais après le premier tour des élections législatives, la victoire était claire pour le deuxième tour, mais cela ne s'est pas réalisé, car l'armée dictatoriale est intervenue. C'était pire qu'avant 1988 ». Que faire ? Bien sûr, l'aide aux réfugiés afghans était importante mais c'était provisoire, ce qui m'importait le plus, c'est ce qui se passait en Algérie. Les gens du FIS devaient-ils rester au Pakistan ? Il fallait trouver une solution rapidement. Choisi par un groupe de frères algériens, il se rend dans le nord du Nigeria où il passe six semaines pour trouver et préparer un lieu de repli, « car la situation devenait difficile au Pakistan et il n'était pas question de retourner en Algérie ». Il dit à un autre moment que ce lieu devait servir à la réalisation et à la diffusion d'un « bulletin d'informations » et pour « mobiliser les frères ». « On m'a demandé d'aller en Angleterre. » « Qui vous l'a demandé ? », interroge le président Didier Wacogne. « Des gens qui appartiennent au FIS, ils voulaient que j'aille prospecter comme au Nigeria, la raison en était que le gouvernement algérien avait annulé les élections, on se demandait s'il était possible de poser pied à terre dans un pays européen. L'Angleterre a été choisie, car je pouvais utiliser le passeport d'une personne qui arrivait de Londres. C'est comme ça que je suis allé à Londres, avec un billet d'avion au nom de cette personne, Elyas Servis, c'était début février 1993. » Il est interpellé le 23 février 1993 par les services britanniques de l'immigration auxquels il déclare être rentré en Angleterre avec son vrai passeport, qu'il est clandestin et membre du FIS. Il fait une grève de la faim de 20 jours. Il est emprisonné pendant trois mois. Il fallait « restituer ces droits qui nous ont été volés de manière pacifique, sinon c'est le recours à la force et toutes les lois internationales le permettent », déclare Rachid Ramda. « Quelles seraient les formes de cette violence qui serait légitime ? », lui demande un autre avocat des parties civiles. « Le recours à la violence intervient après plusieurs étapes. Si je peux utiliser un bâton et que cela suffit, je n'ai pas besoin d'utiliser un couteau. Restituer le droit dû est légitime et même sacré et je pense que vous, Français, avez donné des leçons au monde. » « Voulez-vous dire que les Français ont eu recours à la violence ? », reprend l'avocat. « Voulez-vous que je parle de 1789 ? Comme dit un proverbe arabe ‘‘ne va pas vendre de l'eau là où il y a plein de puits'' », répond l'accusé. L'avocat des parties civiles poursuit : « Le recours à la violence au-delà des frontières algériennes ? » Rachid Ramda : « Beaucoup de pays occidentaux sont intervenus et ont soutenu cette dictature. La priorité pour nous c'était ce qui se passait en Algérie. Des pays qui proclament les droits de l'homme et soutiennent une dictature. Cela ne nous a pas conduits à perdre la raison et à mettre tout le monde sur le même pied. C'est vrai qu'on était en colère et qu'on a exporté notre colère. » « Deux personnes ont été condamnées pour avoir exporté la violence (Bensaïd et Aït Ali Belkacem, ndlr). » L'accusé : « Vous parlez d'un cas particulier. Pourquoi la France a-t-elle été attaquée dans les années 1970, 1980, 1990 ? Ces attaques sont venues à un moment précis, je n'ai rien à voir avec ces événements. Des gens ont analysé cette situation et ont des explications… Les Algériens auraient souhaité ne pas voir la France s'ingérer, mais avoir une attitude de pays ami… Un gouvernement islamique en Algérie ne pouvait qu'être favorable à la France et aurait empêché des exactions en provenance d'un groupe quelconque. Ce gouvernement islamique aurait entraîné la suppression de tout prétexte de s'en prendre à la France. Il y a un point de vue français qui n'a pas compris la réalité islamique algérienne et d'un autre côté des jeunes musulmans n'ont pas compris la société française et sa culture. Si on écarte les attentats, la base des problèmes entre vous et moi c'est l'absence d'un langage de compréhension des deux parties… Que les Occidentaux ne s'ingèrent pas dans notre vie. Elire un gouvernement islamique c'est notre choix, on n'a pas critiqué votre vie laïque. Si les pays occidentaux maintiennent cette politique de soutien je pense qu'ils devront assumer leurs responsabilités. » « Jusqu'où irez-vous ? », lui est-il demandé. « Jusqu'à la réalisation de cet objectif. Quand vous avez combattu l'Allemagne nazie, vous n'avez pas calculé le prix. » L'avocat général interroge : « Puisque la France n'est pas un ennemi pour lui, pourquoi ne vient-il pas s'y réfugier ? » « Partir vers une destination n'est pas forcément un choix, ça peut être imposé », répond Ramda. « Cela veut-il dire qu'il a reçu instruction d'aller en Grande-Bretagne ? » « Oui ». Il parle de Abdelmadjid, son chef au Pakistan. « En 1992, il nous a dit qu'il téléphonait de Grande-Bretagne », dit son frère Mohamed, cité comme témoin par la défense. « De quoi vivait-il ? », demande le président. « Je ne sais pas. On ne lui a pas envoyé d'argent. Il ne nous l'a pas demandé. » « Il aurait participé à l'attentat de l'aéroport d'Alger et qu'il a été condamné à mort par contumace ? », reprend le président. Montrant un extrait du casier judiciaire vierge, il répond : « Pourquoi la justice française n'a-t-elle pas demandé à la justice algérienne un casier judiciaire ? Il n'a jamais fait partie du GIA. » « Comment pouvez-vous le dire ? Vous ne saviez pas ce qu'il faisait ? » « Le GIA c'était en Algérie, lui n'était pas en Algérie. Les gens du GIA sont connus et fichés en Algérie. » « De 1989 à 1992, vous êtes sûr qu'il n'était pas sur le territoire algérien ? », demande le président. « Il n'était pas en Algérie. » « Comment le savez-vous ? »