La direction de la culture d'El Tarf nous a agréablement surpris en nous gratifiant à la fin de ce lugubre Ramadhan d'un spectacle de qualité : la dernière production du théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou : Laâchik, Aouicha et El Harraz, la pièce de Fouzia Aït El Hadj, qui a remporté un franc succès depuis sa première représentation au Mougar le 15 septembre dernier. C'est sa 22e représentation qu'a donnée samedi dernier à El Tarf la troupe d'une trentaine de comédiens extraordinairement jeunes. Le 20 septembre, elle a débuté dans l'ouest du pays sa tournée nationale qui a pris fin le 10 octobre. Et là où elle est passée elle a suscité émotions et émerveillement. Deux heures, deux belles heures d'un spectacle éblouissant par les couleurs chatoyantes des costumes qui seyaient si bien nos ancêtres et dont nous avions oublié l'existence. Le haïk éclatant de blancheur a sublimé le tableau de la ruse des femmes. La mise en scène, le talent des artistes et la magie du conte ont littéralement transporté le public. La pièce est inspirée du poème lyrique du cheikh marocain El Mekki Ben El Korchi (fin XIXe- début XXe) reconnu comme l'un des plus prolifiques dans le genre malhoun où il s'est précisément distingué par la qsida de Laâchik, Aouicha ou El Harraz. Ce monument du patrimoine maghrébin a été popularisé et rendu célèbre par le regretté Abdelkrim Dali dans le genre haouzi et le regretté El Hachemi Guerouabi dans le genre chaâbi. Qui n'a pas fredonné « Ayli ayli oual ghali rabi, kif naâmal ou kif el maâmoul ou ouach men hila tenfaâni… » El Harraz est un personnage mythique récurrent du malhoun (répertoire de la poésie populaire du Maghreb). Esprit fin et distingué, il connaît les sciences, la philosophie et le monde qu'il parcourt à la recherche d'une gazelle (rym) parmi les jeunes filles et les femmes dont il connaît toutes les ruses des jeux de l'amour. Lorsqu'il découvre la belle et gracieuse Aouicha, dont le chant envoûte, il use de magie pour la charmer et l'enfermer dans son palais. Laâchik, l'amoureux, pour récupérer sa dulcinée, va employer diverses ruses. Il se travestira tour à tour en cadi, en marabout et en femme mais à chaque fois El Harraz déjouera ses plans. Finalement, c'est avec l'aide de tout le village que Laâchik, dans un magnifique tableau de la procession maraboutique puisé dans les racines du patrimoine kabyle, va délivrer sa bien-aimée et l'épouser. Faouzia Aït El Hadj n'omet jamais El Tarf dans ses tournées. C'est son troisième passage dans la région. Elle a réhabilité un genre qu'on croyait enfoui à tout jamais. Elle nous a réconciliés avec le spectacle de qualité et qui l'est resté même à El Tarf, la rurale, malgré la faiblesse des lumières et l'exiguïté de la scène de la salle mise à disposition pour l'occasion. Les spectateurs, qui ont parfaitement saisi cette marque de respect, ont longuement ovationné la réalisatrice et sa troupe. Ils ont applaudi aussi le talent de l'auteur Mohamed Charchal, du musicien Mohamed Boulifa, des chorégraphies de Nouara Idami et du scénographe Nouredine Zitouni. El Harraz est interprété par Hamid Gouri qui n'est plus à présenter et qui en fait est au centre de l'intrigue. Autour de lui, une pléiade de talentueux jeunes comédiens lui donnent la réplique. Ahmed Merzougui est Laâchik et Abdelkrim Berber joue Touhami son compère amouraché lui de Mahdjouba incarnée par Karima Belbaz. Nesrine Serghini est admirablement entrée dans le personnage d'Aouicha. Il y a également Saliha Idja dans Houria, qui tourmente Taous, sa mère, campée par Sinia Goulala. Nadjia Laâraf est Jazia et Abdelaziz Charef est le père d'Aouicha et le chef du village. Une note discordante toutefois. Les dialogues de la pièce sont en maghribi, la riche langue du Maghreb qui est notre langue parlée au quotidien et celle transcrite dans les textes du malhoun. Par contre, les déclamations d'El Harraz à Aouicha sont en arabe classique, style Ahmed Chawki. Les mots d'amour auraient-ils déserté le Maghreb ?