Après le sinistre général Aussaresses qui avait choqué le monde, en 2001, en s'extasiant dans son récit sur les circonstances de l'assassinat du valeureux chahid Larbi Ben M'hidi, son alter ego Marcel Bigeard s'est fendu hier d'un aveu non moins terrifiant. « Je ne regrette rien ! Nous avions affaire à une situation impossible », a-t-il asséné dans un entretien qu'il a accordé au quotidien suisse La liberté. Cet ancien colonel de l'armée française, chargé de conduire, sous les ordres du tortionnaire en chef, le général Massu, la bataille d'Alger (1957), a reconnu lui aussi que le héros, Larbi Ben M'hidi, alors chef du réseau algérois du FLN, a été bel et bien exécuté. Un autre aveu qui s'ajoute à celui – aussi criminel que terrifiant – du général Aussaresses qui, en 2001, avait raconté dans le menu détail la pendaison de Ben M'hidi qui avait refusé de parler sous la torture. Ce fut dans les colonnes du journal Le Monde. Une version qui a eu ce mérite de trancher avec la version officielle de la France qui veut que Ben M'hidi se soit tout simplement « suicidé ».Marcel Bigeard qui voulait, à travers l'entretien qu'il a accordé à La Liberté, libérer sa conscience en surfant sur sa prétendue « amitié » avec Ben M'hidi, s'est cependant trahi en lançant ce sec « je ne regrette rien ! ». Et dans sa tentative d'enfiler les habits d'un saint, Marcel Bigeard a soutenu toute honte bue que Ben M'hidi était devenu son « ami » (sic). « Après l'avoir arrêté et interrogé durant huit jours, on lui a présenté les armes quand il a quitté mon poste de commandement. J'en avais fait un ami. Je lui ai dit : ‘'Si j'étais Algérien, j'aurais agi comme vous. Mais je suis Français, para et le gouvernement m'a chargé de vous arrêter'' », raconte Bigeard au journalistes de La Liberté. « Moi, j'étais prêt à organiser un truc avec lui pour éviter de faire verser plus de sang. Il aurait sûrement accepté parce qu'en fait il voulait vivre libre. On aurait pu s'entendre. » On aurait presque cru que le récit sortait de la bouche d'un frère d'armes de Ben M'hidi en lisant les propos de Bigeard dont la seule prononciation du nom fait frémir ceux parmi les survivants de la Bataille d'Alger. Au crépuscule de sa vie – il est âgé de 90 ans –, le colonel Marcel Bigeard veut sans doute se débarrasser du fantôme de Ben M'hidi qui doit hanter son esprit. Pour ce faire, il s'en lave les mains de la responsabilité de son assassinat. Marcel Bigeard soutient, en effet : « Mes prisonniers étaient vivants quand ils quittaient mon quartier général. Et j'ai toujours trouvé dégueulasse de les tuer. Mais c'était la guerre et on devait trouver les bombes qui tuaient des civils. » Quid de la pratique de la torture ? Bigeard, visiblement incommodé par cette question des journalistes qui l'interrogeaient, les invite à changer de lexique. « Vous voulez parler de torture. C'est un mot que je déteste (...) Evitez ce mot-là ! », leur a-t-il lancé. L'adjoint de Massu eut recours à un euphémisme pour ne pas réveiller de mauvais souvenirs. « Il s'agissait plutôt d'interrogatoires musclés », a-t-il rectifié. Ben M'hidi « un ami »... ! Ce jeu de mots ne l'empêche pas cependant de justifier cette pratique innommable en lâchant : « Vous savez, nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas et les interrogatoires musclés, c'était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n'y participais pas. Je n'aimais pas ça. Pour moi, la gégène était le dernier truc à utiliser. » Par cette argutie sémantique, Bigeard confirme ce qu'il a bien voulu cacher : la pratique de la torture. Il ne s'est pas gêné du reste à jeter la pierre au général Aussaresses qu'il a qualifié de « gars sans scrupule. Il était payé pour cela. Mais c'est aussi un con. Il aurait dû se taire. (...) ». « Moi, tuer un type sans arme, comme Aussaresses, je ne pouvais pas. Lui, il pouvait. » Curieusement, et dans sa vaine tentative de se blanchir de la pratique de la torture, Marcel Bigeard a refusé de manifester le moindre regret ni remord à la différence du général Massu. « Je ne regrette rien, nous avions affaire à une situation impossible », s'est-il justifié. Comprendre : à situation impossible, il fallait user des moyens innommables. Mais il fallait éviter de les désigner par le vocable apparemment gênant de « torture ». Or la torture a une seule définition dans le droit international : un crime contre l'humanité…