L'armée coloniale a commis des crimes en Algérie sans pour autant servir la France et les Français. Mais cela est une «bouillabaisse» franco-française. La France a vécu, hier, deux événements en apparence différents mais ayant un lien évident avec la guerre qu'elle a menée en Algérie. Le premier de ces événements fut la célébration du 70e anniversaire de l'appel lancé à partir de Londres par le général de Gaulle le 18 juin 1940. La France venait d'être occupée par les Allemands. Tandis que le pouvoir en place remettait les «clés de la France» aux troupes allemandes, De Gaulle décida d'appeler les Français à leur résister. Ce même De Gaulle que l'on retrouvera deux décennies plus tard à la tête de l'Etat français qui, après avoir porté la répression à son maximum contre les Algériens engagés dans la lutte de libération de leur pays, a fini par se résoudre à accepter le principe de l'autodétermination qui a abouti à l'Indépendance en 1962. L'autre événement aura été la mort, à l'âge de 94 ans, du général Marcel Bigeard qui fut l'un des «bras» de l'armée coloniale qui se distinguèrent lors de la répression voulue par De gaulle et qui sévissait avant son arrivée au pouvoir. On doit à la vérité historique de dire et répéter que la sauvage répression de l'armée coloniale a commencé dès le 5 juillet 1830 et n'a jamais cessé un siècle et demi durant. A cette différence, qu'après le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954, le monde entier en prendra connaissance et en mesurera toute la sauvagerie employée. C'est ainsi que la torture pratiquée par l'armée coloniale en Algérie fut médiatisée dévoilant le vrai visage de la «civilisation apportée en Algérie» que clamait la France dans toutes les tribunes internationales. Aujourd'hui encore, d'ailleurs. Bigeard était de ces chefs militaires dont le souvenir restera gravé dans la mémoire des Algériens. Avec Massu, Godard, Aussaresses, Léger et les autres, il se distinguera, notamment par le déchaînement des troupes françaises dans la capitale algérienne à partir de janvier 1957 et jusqu'à l'indépendance, cinq années plus tard. A la tête de ses fameux parachutistes aux bérets verts, rouges ou bleus, Bigeard «débarque» en 1955 à Constantine mais c'est à Alger où il est affecté en janvier 1957, qu'il fera le plus parler de lui. Où il connaîtra une certaine notoriété. Par ces «interrogatoires musclés» comme il s'efforçait de contourner la question des tortures infligées par ses hommes à toute une population sans distinction d'âge ni de sexe. «C'était un mal nécessaire... un moyen de récolter des infos» reconnaissait-il tardivement, 38 ans plus tard, tout en ajoutant «courageusement» qu'il «n'y participait pas» personnellement. Il les ordonnait. Ce qui, dans sa tête, devait être différent. Il n'était pas à une confusion mentale près puisqu'à la sortie de son 16e et dernier livre en 2009, il avoue qu'«on donne des leçons à tout le monde, mais on est incapables de retrouver nos valeurs». Tardivement, car dès 1957, le grand héros de la Révolution algérienne, Larbi Ben M'hidi, qu'il avait arrêté et livré peu après à son assassin, Aussaresses, avait essayé de le sortir de sa confusion en répondant à un journaliste français qui lui reprochait les attentats à la bombe d'Alger: «Donnez-nous vos avions nous vous donnerons volontiers nos couffins». Oui, Ben M'Hidi ne pouvait être plus clair, les bombes au napalm déversées par les avions français sur les populations algériennes sans défense dans les douars étaient bien plus sauvages que les quelques bombes du FLN dans la capitale. Ajoutons, que livrer un combattant de la liberté comme Ben M'hidi à l'assassinat n'est pas un acte digne d'un militaire à la longue carrière comme Bigeard. Pour toutes les tortures qu'il a infligées aux Algériens et pour tout le sang et les larmes qu'il a fait verser dans notre pays, il ne sera, pour nous, qu'un criminel parmi tous les criminels de son rang qui l'ont précédé depuis le débarquement français à Sidi Ferruch. En définitive, l'armée coloniale a commis des crimes en Algérie sans pour autant servir la France et les Français. Mais cela est une «bouillabaisse» franco-française.