L'initiative ne manque ni d'originalité, ni d'audace. En effet, l'opération « Artisciences », qui est dans sa phase active, regroupe pour la première fois des scientifiques et des artistes plasticiens et consiste à faire un diagnostic de l'état du développement humain dans le bassin du Bas Chéliff. Les principaux initiateurs sont Marcel Kuper, enseignant à l'IAV Hassan II, de Rabat, Douaoui Abdelkader, de l'université de Chlef, Tarik Hartani, de l'INA d'Alger, et Hachemi Ameur, artiste peintre et directeur de l'école des Beaux Arts de Mostaganem. A quatre, ces promoteurs du projet vont mettre à rudes épreuves un grand nombre d'intervenants, afin de cerner la dynamique du développement dans cette plaine intérieure située dans la wilaya de Relizane, laquelle a la particularité de posséder des terres agricoles dont la mise en valeur a de tous temps, depuis Massinissa et la conquête romaine, été un défi pour l'homme. Il est vrai que sur ces terres arides, la grande majorité des sols sont salés. D'où l'éternel recours à la mobilisation des ressources d'eaux douces qui s'est effectué parfois avec des moyens dérisoires, afin de pallier cette salinité stérilisante. Mais, il arrive parfois que la sécheresse persistante diminue drastiquement les réserves, ce qui oblige l'homme à trouver d'autres alternatives, notamment en faisant des choix judicieux de cultures dites halophytes, c'est-à-dire supportant des teneurs en sels élevées pour leur irrigation. Parmi ces cultures, l'artichaut est incontestablement la solution idéale. Ce qui n'a pas échappé à la perspicacité de ces valeureux agriculteurs qui l'auront définitivement consacré comme culture phare de la région. Signalé dans la région depuis le début de l'ère chrétienne, cette plante dont l'origine arabe du nom fait l'unanimité, aurait été introduite par vagues successives jusqu'en Andalousie, puis en Languedoc Roussillon. Sélectionné avec minutie par les premiers agronomes à partir de la multitude de cardes sauvages qui peuplent la zone côtière de l'Afrique du Nord, l'artichaut se décline actuellement en plusieurs variétés, dont les plus célèbres sont le Violet d'Alger et le Blanc d'Oran, qui donnera plus tard le fameux Tudella d'Espagne. La région de Relizane et de Sig, après l'arrivée des colons, renouera avec cette culture qui avait fortement périclité entre le 15ème et le 19ème siècle. Car, cette plante aux multiples vertus n'a qu'un seul défaut, elle a une fâcheuse tendance à la dégénérescence. Celle-ci se traduit par une perte de vigueur et un retour progressif vers les formes sauvages que tapissent de nombreuses épines. C'est ce qui est arrivé à toute l'artichautière nationale depuis une cinquantaine d'année. N'ayant pas su garder les meilleurs plants, l'agriculteur ne pourra que constater les dégâts ; d'année en année, ses artichauts devenaient de plus en plus chétifs et de moins en moins productifs. Pour les agriculteurs du Bas Chéliff et de la Mina, ce sera une véritable catastrophe agronomique. Sur les berges de l'oued Sig, connues pour leur précocité avancée, la culture disparaîtra, ne laissant que quelques vagues souvenirs. C'est pour retrouver cette histoire humaine construite autour de cette culture séculaire que les artistes des beaux arts et les chercheurs ont mis en place ce projet de réhabilitation de cette culture. Mais, si l'artichaut occupe une place cardinale dans le projet, il n'est en fait que le catalyseur d'une opération d'envergure qui se penchera surtout sur l'impact de l'agriculture dans les rapports humains à la terre et le sel qu'elle libère jalousement, faisant de cette immense plaine un véritable enjeux de développement humain. C'est pourquoi, ce projet s'articule autour de 4 préoccupations majeures qui sont : « l'artichaut de demain », « Vivre avec la salinité », « L'eau, notre agriculture en dépend » et, enfin, « Les hommes du Cheliff : visions d'avenir ». Pour les concepteurs du projet, l'association à toutes les étapes de l'étude des artistes devrait permettre d'appréhender, avec la sensibilité particulière des hommes de culture, la profondeur de l'implication de l'homme dans le développement de cette région. C'est ce miracle tant de fois renouvelé qu'artistes et scientifiques se fixent comme objectifs à atteindre. Vers un séminaire international Pour y parvenir, ils auront mis en place une structure commune qui vient de se réunir au niveau de l'école régionale de Mostaganem, afin d'arrêter les opérations à engager sur le terrain. En associant les étudiants et les enseignants des quatre écoles, les initiateurs du projet escomptent un brassage entre générations et entre différents acteurs. Celle des agriculteurs, des agronomes et des artistes, qui devront en commun faire un diagnostic de l'histoire de l'agriculture en zone salée et aride, identifier les acteurs de ce développement en leur restituant leurs propres vécus et donner une impulsion à ceux qui continuent de porter cette espérance de développement dans la région. Pour Marcel Kuper, qui parait être la cheville ouvrière du projet, c'est le rapport de l'homme à la terre qu'il convient de comprendre et de renforcer. Pour une région qui vient de subir les affres de la décennie noire, qui s'est traduite par de nombreux et terrifiants massacres collectifs, suivis d'exode des populations miraculées, le retour à un peu de sérénité ne sera pas de trop. La suite, c'est-à-dire l'insertion dans une dynamique de développement, les acteurs locaux n'auront pas attendu les subsides des organisations internationales pour se prendre en charge. Car, dans ces plaines où continue de souffler le vent de l'espoir, des hommes d'horizons divers se sont retrouvés autour de l'artichaut dont la culture est en train de reprendre de la vigueur. Après une première expérience que l'on ne peut que qualifier de pénible, entreprise avec le concours d'un opérateur privé, les fellahs viennent de passer à une nouvelle forme d'organisation en se constituant en coopérative. Regroupés autour d'un pionnier, Ahmed Fodil, chirurgien dentiste de son état, ils sont des dizaines à avoir pris conscience de la nécessité de s'organiser. Si les scientifiques et les techniciens se mettent de la partie, pour apprendre, pour comprendre mais également pour éclairer, il va sans dire que la lourde machinerie du développement humain harmonieux et efficace s'est mise en route du côté de la Sebkha, de Oued Djemaa et de Sidi Abed. Ce projet devait se traduire également par la production de films, de photos, d'œuvres d'arts et d'un recueil de communications scientifiques en rapport avec la thématique de la terre, l'eau, le sel et l'homme. Ce recueil scientifique sera élaboré à partir des communications qui seront données lors d'un séminaire international qu'abritera en mai prochain l'école des beaux arts de Mostaganem et qui verra la participation d'éminents spécialistes venus du Maroc, de Tunisie, de France et des quatre coins d'Algérie.