Personnage attachant du monde de la culture, sinon d'Alger, l'ancien directeur de la Cinémathèque, a écrit un livre émouvant, passé presqu'inaperçu. Lors d'une séance de dédicace, Boudjemaâ Karèche, sous prétexte de présentation de son livre, nous a fait voyager et rêver dans le monde sublime du 7e art. Il était là pour la promotion de son livre, mais il a fait la promotion du cinéma algérien. Humblement, l'auteur s'est mis en retrait pour laisser place à l'animateur de la Cinémathèque. La salle était chargée d'émotion, les répliques du public nombreuses, et même des non-voyants (dont Lounès Kheir, lecteur assidu), joutaient avec le conférencier à propos de la place du cinéma dans la société face à la dictature de la télévision. Karèche est de ces hommes qui ont une carrure. On le découvre chroniqueur comme on l'avait découvert cinéphile averti et passionné. Il promène, comme une légende, ses allures de basketteur adroit, ne ratant jamais une passe dans ses répliques au public. Que de films ont été sauvés par lui, classés, ordonnés et quelque-fois reprisés comme ces vieilles chaussettes dont personne ne veut. Et ces chaussettes étaient, au hasard des récupérations, du Buñuel ou du Carné. L'homme s'avachissait dans l'un des fauteuils du temple du cinéma et passait des heures à visionner des films pour nous concocter un programme et nous donner du bonheur mais aussi nous instruire. Avec son équipe, il a récupéré, sauvé, trié, analysé des dizaines de films en les restaurant comme une dentellière tissant les fils d'or et d'argent en point de feston. On ne le dira jamais assez, il s'était acharné pour sauvegarder les films et sauver le cinéma algérien, maintenu aujourd'hui sous perfusion, si ce n'étaient des producteurs privés, Deraïs, Gacem et les autres. Bravoure et ténacité. En éditant son livre, il a trouvé sa griffe, celle du chroniqueur et du généalogiste pour la remémoration de plus de quarante années d'histoire de notre cinéma. Entre autres, il raconte avec humilité et une verve chaleureuse qui ne laisse pas indifférent, les péripéties vécues avec de grands noms du cinéma national et mondial. Dans ses souvenirs se croisent des anecdotes truculentes des portraits émouvants comme le premier baiser du cinéma algérien de Fettouma Ousliha et Rouiched dans L'honneur de la famille de Rachid Bouchareb. Un baiser made in Algeria, clinquant et surprenant, qui brise la horma familiale et introduit le doute chez les hommes. La même Fettouma Ousliha crevant l'écran dans Le Charbonnier de Bouamari. La belle et jeune étudiante Bendali, scotchant ses dazibaos sur les murs de la fac centrale pour aller ensuite haranguer le public de la Cinémathèque pour une prise de conscience politique. Je ne vous en dirai pas plus. Vous découvrirez tout cela dans Un jour, un film, un livre qui nous ramène à des époques bénites où la part des dépenses pour la culture étaient comprises dans le budget des ménages. Il nous fait découvrir également les ruades et les accrocs, les joies et les pleurs, l'angoisse et la sérénité qui se déroulaient derrière la caméra ou derrière l'écran. Dans ce livre, il y a comme la prose d'un solitaire qui paraît sortir d'un film de Godard. Obsédé de vérité, de spirales ténébreuses ou gaies, de maximes « casbéennese », capable de citer une pensée de Kateb Yacine dans une phrase décrivant Ali Zaamoum pris pour Kaci Tizi Ouzou dans un transport en commun ! Karèche, avec un humour marmoréen apparaît comme un homme sensible qui noie son couscous d'une sauce piquante soumise au pelliculage et à des regrets nostalgiques. Les fournaises évasives du 7e art auront été pour les gens du cinéma, au gré des vicissitudes, ce que fut le maquis pour la génération de Vauthier et de Mokdad. Karèche est un sniper du cinéma d'affût comme il aurait pu être un moussebel de la Casbah. L'ancien cinéma, le cinéma à thème, le vrai, est resté son drive-in, comme si l'on trouvait encore la poussière des rêves sous les semelles de l'homme aux sandales de caoutchouc. Le lire, c'est avoir l'impression de suivre un meddah, rêvant de planter sa canne de souk en souk pour annoncer les nouvelles des contrées. Karèche l'avait fait, de ville en ville, pour répandre la culture et ouvrir des cinémathèques, c'est vrai. Mais il y a plus, il nous invite à une promenade à travers des pistes mentales d'un chroniqueur panoptique, qui sait tout de ce que le silence concède aux hommes. Quand on ferme le livre, on devine Karèche plantant du géranium sur la tombe des gens du cinéma qui nous ont quittés à tout jamais, quelquefois victimes de contingences, souvent emportés dans le cercueil de l'oubli. Ce livre leur est certainement destiné. L'auteur ne le dit pas mais le lecteur ne s'y trompe pas. Pour ma part, je mettrai ce livre entre mon Larousse et mon Qamous. * « Un jour, un film ». Boudjemaâ Karèche. Editions Jazz, Alger 2005.