C'est à l'initiative de Mohamed Madoui, enseignant, chercheur au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), en partenariat avec la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) et la revue Hommes et Migrations, que s'est tenu, le 23 octobre dernier, un très intéressant colloque sur le thème « Des mobilités et nouvelles formes de circulations migratoires en France et en Méditerranée » au siège du CNAM à Paris. Paris. De notre bureau Le phénomène migratoire a subi depuis trois décennies d'importantes transformations de tout ordre. Aux vagues successives de migrants en quête de travail et sans qualification a succédé une immigration des couches moyennes en quête de mieux-être sur la rive nord, tandis qu'on observe le phénomène inverse de descendants de migrants qui s'installent dans les pays d'origine (Algérie, Maroc, Tunisie), ou commercent à cheval entre les deux rives sud et nord de la Méditerranée.Dans son introduction, Mohamed Madoui a estimé à 200 millions de personnes environ, le nombre de migrants dans le monde (sur 6,5 milliards d'individus), même si l'essentiel du phénomène concerne, en partie, la frontière américano-mexicaine, et surtout le bassin méditerranéen, induisant au passage l'appauvrissement en ressources humaines des contrées du Sud. Auparavant, dans son allocution d'accueil, Bernard Racimora, directeur adjoint du CNAM, soulignait qu'avec la révolution de l'information, on connaissait désormais « l'ordre des talents ». « Cet ordre, dira-t-il, se manifeste par le fait que l'individu veut être reconnu en fonction de ses talents, de ses compétences, de ses mérites, de ses efforts et obtenir ainsi la vie qu'il désire. » Les travailleurs les plus discriminés C'est d'abord Marie Poinsot pour la revue Hommes et Migrations qui a situé le cadre du débat, en rappelant que les immigrés du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne continuaient d'être les travailleurs les plus discriminés du marché du travail, tandis que la nouvelle vague d'arrivants (années 1990) présentait un profil d'individus mieux qualifiés parmi lesquels on observe une féminisation certaine. Evoquant « les hussards multicolores de la République », Fabienne Rio, de l'institut Maghreb-Europe, a mis en relief l'essor du métissage ethnique du monde des enseignants qui accueille de plus en plus de fils et surtout de filles issues de l'immigration. Pour sa part, Gregory Girando, du CNRS, a mis en exergue la discrimination silencieuse et « le racisme flottant » qui accompagnent les travailleurs intérimaires originaires du Sud.C'est, ensuite, Emmanuelle Santelli du CNRS-INED qui a « planché » sur les investisseurs-passeurs entre rive nord et rive sud, autrement dit, ces descendants d'immigrés qui investissent et entreprennent dans le pays des parents. C'est là un phénomène récent qui concerne tout particulièrement, outre le Maroc, l'Algérie. Ils transfèrent, avec leurs fonds, un savoir-faire en matière de management qui participe au développement des pays émergeants. Phénomène présent Des intervenants ont, bien sûr, évoqué la réalité des « harraga », ces brûleurs de frontières, qui empruntent le détroit de Gibraltar et participent de l'essor d'une médiatisation du phénomène de « vision sécuritaire de l'immigration ». Mais nous avons surtout noté la brillante intervention de Cherif Dris, venu d'Alger où il enseigne à L'IEP (Institut d'études politiques), qui a caractérisé la relation Nord-Sud, par un mouvement perpétuel de bascule entre « intégration et obsession sécuritaire ». D'un côté, le vieillissement des populations européennes qui nécessite un appel d'air au « jeune » du Sud, et la mise en place d'une politique sécuritaire à tous les niveaux pour dissuader la venue de nouveaux candidats à l'exil. Il définira, d'ailleurs, cette contradiction comme le ferment même de la stratégie actuelle du Nord à l'égard du Sud. « On assiste, souligne-t-il, à une reconfiguration des marchés du travail nationaux et locaux, résultant des nouvelles immigrations. » Il évoquera, au passage, la formation de « nouveaux espaces économiques transnationaux ». Il déplorera enfin que le sud est pour le moment, captif de la stratégie du nord et soulignera que les politiques migratoires au Sud ont besoin d'une réflexion et de pratiques nouvelles. Chargée de conclure ce premier colloque qui en appellera certainement d'autres, Patricia Sitruk, directrice générale de la toute jeune Cité de l'immigration ouverte il y a moins de deux semaines (voir nos numéros antérieurs d'El Watan), a donné quelques chiffres plutôt étonnants de la fréquentation de la Cité. En effet, quand les organisateurs escomptaient 25 000 personnes d'ici fin décembre, la Cité a déjà accueilli 27 000 visiteurs en deux semaines à peine. Insistant sur la diversité des publics, elle a affirmé vouloir rester fidèle à « l'indépendance du projet scientifique et que le public demeure un acteur essentiel de cette Cité ». Interrogé par nos soins, Mohamed Madoui, qui a été l'âme de ce colloque, s'est félicité que l'on ait porté un autre regard sur l'immigration, pour une fois déconnectée des exploitations idéologiques et des « figures imposées » que sont la délinquance ou les sans-papiers qui demeurent les « marronniers » (faits récurrents) des grands médias.