Mohamed Madoui a publié, ce printemps, une stimulante et originale étude sociologique sur Les entrepreneurs issus de l'immigration maghrébine en France*. L'auteur, natif de Béjaïa, est présentement enseignant chercheur au Centre national des arts et métiers (CNAM) et au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à Paris. Dans ce fruit d'un travail patient et fouillé, l'auteur fait remonter à la surface des réalités complexes du domaine, une définition des principales lignes structurant l'évolution du secteur. D'un chiffre frappant, il indique l'importance sociologique et économique de son objet d'étude : quelque 15 000 entreprises (de tout type) sont créées chaque année en France par des promoteurs issus de l'immigration maghrébine, toutes nationalités confondues, et originaires d'Afrique du Nord. Mais toutes, bien sûr, ne survivent pas. En premier constat, départ de questionnements, l'auteur note : « La création de la petite entreprise est devenue un phénomène nouveau pour les populations issues de l'immigration maghrébine dans le processus de leur intégration à la société française. S'installer à son compte est souvent perçu par les membres de la communauté comme un modèle de réussite, signe de mobilité sociale ascendante et de réalisation du rêve des parents de ne pas voir leurs enfants reproduire à l'identique leur condition d'ancien mineur ou d'ouvrier sans qualification. » La démarche d'investigation de Mohamed Madoui, comme souligné en sous-titre de l'ouvrage, tendra dès lors à sonder méthodiquement les attitudes des acteurs mis en situation sur le double paramètre : stigmatisation et discrimination, d'un côté, et quête de reconnaissance, de l'autre. Construit sur sept chapitres, le livre propose d'entrée une dense définition de la méthode de recherche sur les catégories sociales dominées à l'étude et les capacités des individus à se débarrasser des « attributs négatifs ». Le corps de l'ouvrage dissèque, par le biais d'entretiens menés à travers plusieurs régions de France, les motivations des entrepreneurs ayant répondu favorablement à l'appel du chercheur. Le dernier chapitre identifie les réseaux sociaux et les relations entretenues par les entrepreneurs avec leur communauté et le pays d'origine. La collaboration à l'entretien n'a pas été aussi solidaire et large que Mohamed Madoui l'aurait souhaité. Pour diverses raisons, l'évitement a prédominé, en particulier pour des raisons déclarées ou non de suspicion (fisc, etc.) mais aussi, comme le note en préface le professeur Michel Lallement, parce que « ces silences et refus obstinés » font comme un écho à ceux de l'acte de candidature sur le marché du travail. L'auteur a eu le bon réflexe de noter en annexe de son œuvre les modalités pratiques de sa fabrique. D'un listing de 2000 entreprises, il a d'abord eu le « vœu » de concevoir un échantillon de 100 à 150 entrepreneurs « sondés ». Il n'a pu réellement en mener que 35, mais de qualité approfondie. Du fourmillement de sens proposés, il nous tient de reprendre en ce court espace de notes une observation du préfacier puisée du fond de l'ouvrage de Mohamed Madoui « Contrairement à ce que peut nous laisser croire la vulgate libérale du temps, entreprendre ce n'est pas nécessairement vouloir s'affirmer comme un héraut du capitalisme moderne. Dans le cas présent, créer sa propre entreprise c'est avant tout forger de toute pièce son propre emploi, se donner les moyens de ''s'en sortir'' Mais ce n'est pas que cela. Créer son entreprise, c'est aussi travailler à une forme de retournement identitaire. » Solidement forgée, cette première sociographie des entrepreneurs maghrébins de France est précieuse à plusieurs niveaux. Nous nous en tiendrons à deux : la qualité de sa méthode pour inspirer d'autres études universitaires en Algérie sur nombre d'acteurs sociaux et la connaissance du devenir socio-économique de nombre de Maghrébins vivant sur l'autre rive de la Méditerranée. Quel est donc l'éditeur entrepreneur de cette rive-ci à même de lancer le challenge d'entrer en co-édition de l'ouvrage pour le « rapatrier » au bénéfice de nos lecteurs ? * Mohamed Madoui : Entrepreneurs issus de l'immigration maghrébine. De la stigmatisation à la quête de la reconnaissance sociale. Editions Aux lieux d'être, Paris, 2008, 190 p.