Yasser Arafat, 75 ans, n'a finalement pas pu surmonter le dernier défi auquel il a été confronté. La maladie est finalement venue à bout de l'homme qui symbolisait la lutte farouche, menée depuis plus de cinquante ans par le peuple palestinien, pour sa liberté et son indépendance. Arafat est décédé dans la nuit de mercredi à jeudi à l'hôpital militaire Percy, près de Paris, où il était hospitalisé depuis le 29 octobre. C'est Tayeb Abderrahim, le secretaire de la présidence, qui a annoncé la triste nouvelle au peuple palestinien. En même temps, il a annoncé que l'Autorité palestinienne a décrété un deuil de 40 jours. Durant cette période, les drapeaux palestiniens resteront en berne. Les administrations seront fermées pendant 7 jours et les commerces pendant 3 jours. Juste après l'aube, des dizaines de milliers de Palestiniens sont descendus dans les rues de la ville de Ghaza. La télévision palestinienne et les mosquées ont commencé la diffusion des versets du Coran. Des coups de feu ont été tirés en l'air par des centaines d'hommes armés. Des pneus ont été brûlés par les jeunes manifestants, rendant l'air de Ghaza irrespirable. La couche noire et épaisse du nuage de fumée qui en a résulté a rajouté un degré à la tristesse de l'atmosphère qui sévit dans la bande de Ghaza et le reste des territoires occupés, car les mêmes scènes étaient visibles dans toutes les localités palestiniennes. Les larmes remplissaient les yeux de beaucoup de citoyens. Les posters du président ainsi que les drapeaux palestiniens étaient visibles partout, sur les murs, sur les vitres des voitures, sur les balcons. En cette matinée de jeudi, la ville de Ghaza, où tout était fermé, ressemblait à une ville fantôme. Des rues entières, qui étaient devenues piétonnières pour permettre aux commerçants de vendre les vêtements pour l'Aïd, ont été rouvertes à la circulation. Désormais, cette fête traditionnellement joyeuse ne le sera pas cette année. A Ghaza, les citoyens se sont dirigés vers le Mountada, siège officieux pour Ghaza de l'Autorité palestinienne, situé à l'ouest de la ville, près du bord de mer. Ce lieu, qui regroupe ses bureaux, sa résidence ainsi que la piste d'atterrissage de son hélicoptère, a été attaqué au début de l'Intifadha par les forces israéliennes. Des restes de bâtiments détruits aux missiles air-sol sont le témoin que tout ce qui symbolisait Yasser Arafat est devenu une cible des forces d'occupation. Comme en témoigne la démolition de plusieurs bâtiments de la Mouqataâ à Ramallah où il a passé ses trois dernières années, assiégé par l'armée israélienne qui l'empêchait d'en sortir. Dans ce rassemblement spontané du début de matinée, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants mêlés aux membres de sa garde personnelle. Tout le monde pleurait dans le calme. Aucune scène d'hystérie n'était notable. Une femme qui pleurait à haute voix nous a dit : « Nous n'avons pas perdu un simple président, mais notre symbole. C'était un véritable père pour nous. Je me sens orpheline, nous sommes tous devenus orphelins. » Alors que cette femme nous donnait ses impressions en cette triste occasion, des hélicoptères d'assaut israéliens volant à basse altitude ont surgi dans le ciel de la région. Tout en regardant le ciel, la bonne femme continuait : « Vous voyez, ils ne respectent rien, même pas la mort. Ils pensent qu'ils peuvent nous empêcher de nous rassembler pour faire nos adieux à notre père, mais ils se trompent car personne ne bougera. » De très nombreux hommes armés et cagoulés portant l'emblème des Brigades des martyrs d'El Aqsa, la branche armée du Fatah dont il est le fondateur, étaient visibles dans ce rassemblement. L'un d'eux nous a confié : « C'est vrai que la tristesse due à la perte de notre père à tous, notre idole et notre symbole, me brise le cœur, mais je peux assurer qu'il a disparu physiquement seulement. Nous suivrons la ligne qu'il a tracée au prix de notre vie. Nous ne permettrons à personne de faire des concessions que le Vieux a refusées. » Juste après l'annonce officielle de la mort du Président palestinien, les Brigades des martyrs d'El Aqsa ont changé de nom pour devenir les Brigades du martyr Arafat. Dans le même rassemblement, étaient visibles des personnalités des mouvements radicaux palestiniens, ainsi que d'autres mouvements palestiniens. Sur le terrain d'atterrissage a été monté un très grand chapiteau où les responsables du Fatah et des membres de la famille du défunt président recevront les gens qui viendront présenter leurs condoléances. Abou Maher Heles, le secrétaire général du Fatah dans la bande de Ghaza, nous a déclaré : « En ce jour triste où notre peuple palestinien fait ses adieux à son leader et symbole de sa lutte pour l'indépendance, nous disons aussi que c'est un jour où notre détermination à poursuivre la voie qu'il a tracée est plus forte. Le peuple palestinien, principalement le mouvement Fatah, a hérité d'un message du président de Arafat. Nous lutterons de toutes nos forces pour sa concrétisation. L'unité nationale est une ligne rouge pour tout le peuple palestinien. Yasser Arafat l'a parrainée et a tout fait pour la conserver. Nous sommes confiants que tout notre peuple y croit, pour cela nous n'avons pas d'inquiétudes particulières. Les institutions palestiniennes fonctionnent très bien. Les passations de pouvoirs se font sans aucun problème. Yasser Arafat va nous manquer car les institutions peuvent combler un vide juridique, mais le vide symbolique est propre au président et à personne d'autre. »