En gestation depuis quatre décennies et rebondissant au gré des échéances depuis l'année 2003 jusqu'à son inauguration le 5 septembre dernier, la mise en service du grandiose barrage de Beni Haroun est globalement qualifiée d'« accouchement dans la douleur ». Flash-back Le plus grand système national de mobilisation et de transfert hydraulique, le barrage de Beni Haroun en l'occurrence, ne serait-il en fin de compte qu'un géant aux pieds d'argile ? Les nombreux couacs et défections techniques ayant découlé de sa mise en exploitation le 5 septembre dernier, à l'occasion de son inauguration par le chef de l'Etat, confortent pour le moins ce constat. En optant, pour la grandeur et le surdimensionnement des installations de ce complexe hydraulique, soit une digue en BCR avec 1 800 000 m3 de béton injecté, une super-station de pompage…, les pouvoirs publics, qui se sont relayés à la tête de ce gigantisme projet officiellement inscrit en 1988 pour une AP initiale de 1 milliard de dinars, ont-ils opté pour le bon choix et mesuré l'impact économique de leur option sur l'avenir des futures générations ? Les travaux, confiés à l'entreprise chinoise CWE au début de l'année 1988 pour la réalisation de la digue, ne seront concrétisés qu'à hauteur de 15%, avant que les Espagnols de Dragados ne prennent le relais en 1993. L'ouvrage en question, d'une hauteur de 120 m hors sol, 710 m de longueur en crête et 8 m de largeur ayant englouti quelque 2 millions de m3 de béton, entre autres, un important volume réservé au colmatage des fissures béantes apparues sur la paroi rocheuse Est, attenante à la digue, sera achevé et réceptionné en 2002 au même titre que le batardeau. La reprise des travaux de la digue n'interviendra que vers la fin 1996, pour une durée de 56 mois et 34 mois (avenants) sous l'impulsion de bailleurs de fonds arabes, notamment le Fonds arabe pour le développement économique et social koweitien (Fades), le Fonds saoudien de développement (FSD) et le Fonds arabe de développement d'Abou Dhabi, pour un montant du marché (plus avenant) de l'ordre de 4 027 607 750 DA, l'équivalent de 20 877 782 535 pesetas. Quant au barrage, il sera mis en service le 17 décembre 2003. Station de pompage et système anti-bélier Force est d'admettre néanmoins que les véritables travaux d'Hercule ne font que commencer, à savoir la réalisation pour les besoins de toutes les phases du transfert de 4 stations de pompage, 2 bassins d'expansion, 3 barrages réservoirs, 4 stations de traitement, 3 stations d'épuration et quelque 400 km de canalisation, moyennant le montant astronomique de 1,5 milliard de dollars. Parmi ces innombrables ouvrages vitaux, la mégastation de pompage de Kikaya, dont la durée de vie serait de 50 ans, située près de Mila et équipée de deux pompes prototypes (deux exemplaires uniques dans le monde, selon le ministre des Ressources en eau), est considérée comme l'une des plus grandes au monde, car dotée d'une puissance de 2x90 mégawatts, un débit de 23 m3/s et une HMT (hauteur manométrique totale) de 702 m. L'entame de sa réalisation, qui remonte au 31 décembre 2001, a nécessité un délai total de 36 mois et un montant du marché (après avenants) de 2 222 400 629 DA, soit 83 342 084 euros. Et ce n'est pas tout. Dans le même sillage, les pourvoyeurs de fonds arabes du Golfe parraineront (financièrement) d'autres équipements, à l'exemple de la pose de la conduite d'adduction en diamètre 1,90 m et 2,60 m sur un tracé de 11,2 km séparant la station de pompage de Kikaya érigée sur les berges du lac du barrage et la station de Aïn Tine, en sus des 5,9 km de tunnel, pour un délai contractuel de 30 mois et une subvention (avenants 2 et 3 compris) de 5 131 8930 367 DA (100 976 418, 50 euros). Enfouie dans un puits de 85 m de profondeur, (ce qui correspond à peu de chose près à un immeuble de 25 étages), cette mégastation, qui permet de refouler les eaux du barrage vers le bassin d'expansion de Aïn Tine d'une capacité de 20 000 m3 et le barrage réservoir de Oued Athmenia 33 millions de m3, sera achevée et équipée d'un système antibélier composé de (8 x ballons) conçu pour la dissipation de l'énergie excédentaire au cas où des ondes transitoires sont provoquées. Barrage tampon de Oued Athmenia Il aura fallu aux Turcs de Enka, détenteurs du marché, une durée de 36 mois pour sa réalisation suivant l'ODS du 18/08/20 et un financement de 1 882 487 382,90 DA représentant 29 050 054 84 USD. La conception de toutes ces installations, citées plus haut et incontournables pour l'alimentation en eau potable des villes de Constantine, Mila et les régions avoisinantes à partir du transfert de Beni Haroun (1ire tranche du transfert), a requis une AP réévaluée de 25 800 000 000 DA, soit près de 1,5 milliard de dollars, travaux de suivi et expertises inclus. L'opération globale d'approvisionnement de ces localités se décompose en projets dont voici le détail : Station de traitement de Aïn Tine et couloir n° 1 : ces deux ouvrages ont été réalisés par le groupement Dégrémond-CGS (CGS concernant la partie génie civil) pour un montant total de 4 497 053 358,94 DA. Station de traitement de Oued Athmenia : sa conception par le groupement Dégrémond-ENKA a mobilisé une enveloppe de 6 918 840 973,14 DA/TTC, tandis que le couloir n° 2 réalisé par les Chinois de la CGS a englouti le montant de 1 612 991 523,20 DA/TTC. Un budget de 4 921 243 452,15 DA/TTC a été en plus affecté à la mise en place par la CGS d'un couloir (vers Constantine). Enjeux et horizons Projet grandiose de développement destiné au renforcement de 6 wilayas en eau potable (quelque 5 millions d'habitants), à concurrence de 310 millions m3/an, la production de 400 mw/an d'énergie et de 223 millions m3/an pour les besoins de l'irrigation d'un périmètre de 35 000 ha, ainsi que le laminage des crues de Oued El Kébir afin de garantir la protection des infrastructures implantées en aval, le fleuron de l'hydraulique national continue de faire jaser. D'autant que le casse-tête des déperditions menaçant les fondations mêmes de la digue pour lesquelles des experts français sont à pied d'œuvre, voilà près de deux mois, pour l'identification des failles, n'a pas encore connu son épilogue. Ce qui explique en partie la « dangerosité » du remplissage maximum du lac de Beni Haroun qui est à 450 millions m3 de stockage, loin de son top niveau, à savoir 960 millions m3. Encore faut-il que la deuxième pompe de la station (le processus de transfert se fait à présent à l'aide d'une seule pompe), en usinage en France à cause d'un problème d'échauffement ayant affecté son palier intérieur, soit remise en service. Sur un autre registre et même si objectivement on ne peut contester les efforts colossaux consentis par l'Etat à coups de budgets hallucinants, force est de reconnaître que ce projet structurant initié vers 1968 continue de susciter des espoirs et des appréhensions, en raison justement du danger qui plane à cause de ces « sacrées fissures ». Ce constat est atténué par des hydrauliciens très au fait du dossier et qui considèrent qu'il n'y a pas de risques majeurs. « Comme phase d'urgence, la station de traitement de Aïn Tine (couloir-C1 alimentant Mila et 9 agglomérations du nord), prend en charge le traitement de 22 000 m3/j avec une extension à 63 000 m3 à l'horizon 2015 et 86 000 m3 (sa capacité optimale) vers 2030. Quant à la station de Oued Athmenia, (couloir-C 2 et 3 desservant le Constantinois et le sud de la wilaya de Mila), elle traite actuellement un volume de 105 000 m3/j, 260 000 m3/j à l'horizon 2015, avant d'atteindre à l'échéance 2030 son plein régime, soit les 330 000 m3/j », assure-t-on. L'approvisionnement optimal et régulier demeure tributaire de la maîtrise de plusieurs paramètres techniques, voire technologiques. Il faudrait, d'abord, que les cadences de pompage, démultipliées pour cause de fuites constatées au niveau du tunnel de Djebel Lakehal (commune de Aïn Tine), soient accentuées afin d'atteindre les quantités maximales de stockage. La réhabilitation des réseaux de distribution (défectueux pour la plupart) des agglomérations concernées par cette première étape du transfert participe aussi de cette logique. A priori, le processus de transfert des eaux traitées, qui remonte à mai 2005, a buté sur d'autres complications d'ordre technique : contraintes liées à la topographie des lieux, complexité du tracé géologique, failles rencontrées au moment du creusement du tunnel de Sidi Khelifa… qui avaient nécessité toute l'ingéniosité et le savoir-faire des Italiens de Condotte. Maintenant que tous les handicaps semblent levés, le traitement de potabilisation assuré, le processus de nettoyage et de rinçage des conduites (chloration par désinfection) perceptible, l'eau de Beni Haroun s'est certes invitée dans les ménages, mais pas avec un régime H24 tant souhaité par les populations concernées par cette première phase de transfert. Pour atteindre ce rythme de croisière, il faut encore du temps (jusqu'à l'échéance annoncée de 2030 ? Et peut-être au-delà) mais aussi, beaucoup d'argent.