La pluie n'est pas la seule à s'inviter au 12e Salon international du livre d'Alger (Sila), qui a ouvert mercredi 31 octobre. Il y a également la bureaucratie et la censure. Jeudi 1er novembre, l'entrée du Palais des expositions des Pins maritimes est bien filtrée. Fouille des sacs. Peu de choses indiquent l'organisation d'un salon du livre pourtant placé « sous le haut patronage » du président de la République. Par contre, des affiches publicitaires pour des parfums sont bien visibles. Fait curieux : le salon de cette année a deux slogans : « Libertés et imaginaire » en français, « Le constant et le variable dans la culture arabe », en arabe. En matière de clivage, on ne peut pas faire mieux. Le mot « liberté » ne se prononce-t-il pas en arabe ? « Le constant » doit-il être toujours oriental ? Une tente blanche est dressée pour les nombreux cafés littéraires. Dans le pavillon A, les stands, 24 heures après l'inauguration, sont encore vides. « Nous n'arrivons pas encore à faire sortir nos livres du dépôt. On attend toute la journée et on ne sait pas à qui s'adresser. Cela dure depuis trois jours. On a exposé dans 26 pays, on n'a jamais vu cela. Même au Yémen, où le salon se tient sur terre battue, c'est mieux organisé, et il y a toujours des interlocuteurs... », s'indigne un jeune exposant syrien de Dar El Kalam. Pour être là, il a payé 2600 dollars la location du stand. Un autre éditeur se plaint du manque de coordination entre les différents intervenants au niveau du dépôt sous-douane situé au Palais des expositions. « On ne sait pas à qui demander la clef », dit-il. La plupart des exposants pointent un doigt accusateur vers Salah Chekirou, directeur central à l'Entreprise nationale communication d'édition et de publicité (ANEP) et chargé de l'organisation du Sila. « A chaque fois qu'on s'approche de lui, il dit je ne peux rien faire pour vous », lâche, en colère, une éditrice qui vient à peine de déposer des livres dans le stand. « J'ai perdu deux jours ! », enchaîne-t-elle. D'autres exposants dénoncent une autre situation comique : « Nos stands ont été squattés ! » Par qui ? D'autres éditeurs mal informés. La visite imprévue de Abdelaziz Bouteflika pour « l'inauguration » de la manifestation a, semble-t-il, chamboulé tous les calculs. Les services de la protection présidentielle ont fermé les pavillons pendant deux jours avant la venue du chef de l'Etat. Ils ont empêché les exposants et les organisations de continuer l'alimentation des stands en livres. Une incroyable perte de temps ! Depuis l'attentat suicide de Batna, qui a ciblé Abdelaziz Bouteflika et qui a entraîné la mort de 22 personnes, les mesures sécuritaires sont devenues étouffantes, voire agaçantes. Résultat : l'image du Salon international du livre en prend un coup, celle de l'Algérie aussi. Quelque peu débordé, Salah Chekirou n'est pas gêné par les critiques qui le ciblent. Il comprend le retard mis dans l'installation des ouvrages dans les stands sur une surface de 14 700 m². Mais il précise que pour des raisons de sécurité, les camions ne peuvent pas circuler entre les pavillons et au milieu des visiteurs en journée. Le transfert des livres ne peut se faire donc qu'après 20h. L'existence d'un seul transitaire au niveau de la zone sous-douane est, selon lui, insuffisante. Il reproche à certains éditeurs de se manifester tardivement, ce qui perturbe la programmation. « Cela n'a jamais été fait auparavant : nous avons dressé un planning détaillé entre les trois pavillons distribuant des espaces entre exposants. Ceux-ci ont été informés à l'avance par courrier de leur emplacement. Je ne comprends pas pourquoi on se plaint », explique-t-il. Certains participants étrangers, à l'image des Egyptiens, ont bousculé quelque peu les organisateurs pour les stands, ce qui a créé des cas de squat et de changement d'emplacement. Des espaces payés à 2600 dollars pour les étrangers et à plus de 320 000 DA pour les Algériens. Il s'agit là de chiffres moyens puisqu'on ne dit pas grand-chose sur le financement de ce salon qui bénéficie du soutien de quinze sponsors, la plupart du secteur public. Chiffre moins « tabou » pour Sila 2007 : 559 maisons d'édition, 27 pays, 82 000 titres, et une soixantaine de ventes dédicaces. Peu de nouveautés chez les exposants étrangers. Certains ouvrages, comme ceux de la littérature classique ou les manuels d'informatique, reviennent chaque année. Comme s'il y avait obsession de se débarrasser de vieux stocks coûte que coûte. Au pavillon A, le livre religieux côtoie les prospectus de cuisine. Y en a pour tous les goûts, en somme ! Les enfants sont également servis : livres de coloriage, bande dessinée, dictionnaires juniors... Pas de fièvre ici pour le dernier opus de Harry Potter et la clique des sorciers. Reste que les prix affichés ne sont pas ceux d'un salon. « Un petit roman à 1800 DA, c'est trop cher ! », peste un homme qui se dit féru de lecture, au stand de l'éditeur français Gallimard. Absence remarquée : celle de Mohammed Arkoun, historien et philosophe, qui était prévu pour animer un débat sur l'humanisme et l'Islam. Sofiane Hadajd, responsable des éditions Barzakh, qui regrette cette présence, espère organiser à l'avenir un colloque avec ce penseur, encore peu connu dans son pays.