Une contestation de grande ampleur a caractérisé ce dimanche, premier jour de l'Aïd El Fitr, la commune de Chbaïta Mokhtar, dans la wilaya d'El Tarf, à quinze kilomètres du chef-lieu de Annaba. Tôt le matin, plusieurs centaines de citoyens hommes, femmes et enfants ont dressé des barrages composés d'objets hétéroclites. Ils se révoltaient ainsi pour réclamer des mesures d'urgence qui les sauveraient des intempéries à l'origine des inondations de leurs foyers, notamment ceux de la cité des 56 Logements. Pour les populations de cette wilaya qui cumule de manière exacerbée les handicaps sociaux depuis plusieurs années, le temps n'est plus à l'attente des promesses d'une meilleure prise en charge faites par tel ou tel autre responsable local. Dans cette localité, où s'accumulent en effet les records sinistres de la désocialisation avec la hausse du chômage, l'insécurité, la drogue et la violence, des dizaines de manifestants de tout âge ont pris possession de la route. D'autres ont contraint les quelques cafés et kiosques ouverts en cette journée de fête à baisser rideau. La violence de leurs propos, leur colère difficilement retenue et leur détermination à casser et à agresser, ont contraint de nombreux automobilistes à rebrousser chemin. De par sa position de grand carrefour à destination des wilayas de l'intérieur, la population de Chbaïta Mokhtar a attiré sur elle, durant toute la journée de ce dimanche de l'Aïd El Fitr, les regards des régions de Souk Ahras à El Tarf et de Annaba à Guelma. Bien maîtrisée de part et d'autre des routes d'accès à cette localité, la circulation routière a été détournée par des barrages de gendarmerie. Dans l'après-midi, malgré la présence du responsable de la daïra, du chef de sûreté de daïra, du président de l'APC et de quelques élus locaux, la manifestation aurait pu tourner à l'émeute. Les propos tenus par un officier de police aux manifestants en auraient été la cause. Un officier s'est approché des manifestants. Il les a copieusement « arrosés » de propos indécents et menacé, si cela ne tenait qu'à lui, de les laisser pourrir en prison. Bon nombre de manifestants voulaient incendier le siège de l'APC et tout ce qui porte les symboles de l'Etat. La situation économique et sociale de Chbaïta est catastrophique. 70% de la population active est au chômage. Les autres vivotent au gré des journées dans des activités sans lendemain. « La wilaya ne fait rien pour nous. La seule pompe de relevage des eaux pluviales étant à l'arrêt, nos habitations ont été inondées. Si les intempéries se poursuivent nous allons nous retrouver sans abri et beaucoup d'entre nous y laisseront leur vie », ont affirmé plusieurs citoyens. Interrogés sur les propos tenus par un de leurs responsables aux manifestants, des gendarmes ont déclaré : « Il n'est pas dans nos prérogatives d'intervenir pour rétablir l'ordre. Pas une seule fois nous nous sommes adressés aux manifestants. Quant aux propos et menaces, ils ont été exprimés aux manifestants et en notre présence par un officier de police », ont indiqué des gendarmes contactés. DÉLABREMENT GÉNÉRAL Cette contestation de grande ampleur n'est pas en effet sans rappeler les autres mouvements de colère dans la même localité, à Bebbès, Zerizer et celle de ce 1er novembre à El Tarf. Ces mouvements ont été à l'origine de mort d'homme et de l'interpellation de plusieurs dizaines de manifestants suivie de mise sous mandat de dépôt et de poursuites judiciaires pour un grand nombre d'entre eux. Dans cette wilaya, le délabrement est général. Les dossiers des anomalies dans la gestion de différentes administrations se multiplient. Dans l'entourage des anciens moudjahidine et d'un grand nombre d'associations civiles, on craint que cette nouvelle révolte des exclus de Chbaïta Mokhtar soit dirigée principalement contre les inclus d'un système de gestion en total déphasage avec la réalité du terrain. Bon nombre d'élus affirment qu'à moins d'une réaction rapide des plus hautes autorités du pays, cette révolte pourrait gagner d'autres localités, communes de la wilaya et atteindre d'autres régions limitrophes. Ce qui n'est pas de l'avis de M. Khedim, chef de daïra de Dréan dont dépend administrativement la commune de Chbaïta Mokhtar. Contacté dans son cabinet au lendemain des manifestations, il a précisé : « Il y a eu des intempéries avec risques d'inondation de certaines habitations, notamment celles situées au rez-de-chaussée de la cité des 56 Logements. C'est pourquoi nous avons pris toutes les dispositions pour assurer une bonne activité de la station de relevage de Selmi malgré une panne d'électricité que nous avons pu gérer. Au même titre que le président de l'APC et du chef de sûreté, j'étais présent lors du déclenchement du mouvement jusqu'en fin d'après-midi. Je n'ai pas entendu un seul policier exprimer un quelconque propos indécent ou menacer les manifestants. Tout est rentré dans l'ordre le jour même et il n'y a pas lieu de dramatiser la situation. »