Hier, juste avant l'aube, les quelque 3000 soldats israéliens qui stationnaient encore dans la bande de Ghaza ont commencé leur retrait. Aux premières lueurs du matin, les derniers soldats israéliens ont franchi sans encombre le point de passage de Kissoufim, au sud de la bande de Ghaza, jadis utilisé par les colons juifs pour pénétrer en territoire israélien. Ce retrait met fin à 38 ans d'occupation militaire israélienne de cette portion de la terre palestinienne. Israël avait pris le contrôle de la bande de Ghaza à la suite de la guerre des Six-Jours en 1967, en même temps que la péninsule du Sinaï égyptien, de la Cisjordanie, de la ville sainte d'El Qods ainsi que du Golan syrien. Le retrait militaire a succédé à celui des colons qui habitaient les 21 colonies de la bande de Ghaza. Contraints par leur armée de quitter les lieux dans le cadre de l'application du plan de désengagement d'avec les Palestiniens du Premier ministre Ariel Sharon, le dernier colon juif a quitté Ghaza le 23 août dernier. L'Autorité ainsi que les différents mouvements palestiniens ont tenu leur parole de faire de ce retrait un succès. Aucun incident majeur n'a été signalé au cours du mouvement des blindés israéliens. Selon un plan militaire préétabli, en concertation avec les responsables militaires israéliens, près de 6000 soldats et policiers palestiniens étaient fin prêts à prendre le contrôle des sites abandonnés, ce qui fut fait dans un calme relatif. Ces hommes avaient la tâche d'empêcher toute attaque contre les forces israéliennes au cours de leur retrait ainsi que le contrôle de tout point abandonné par les occupants. Aucun accrochage n'a été signalé entre les forces de l'ordre et les militants des différents mouvements de résistance, dont les militants armés et cagoulés ont tenu à voir de près ce qui a été leurs cibles privilégiées au cours de la dernière intifadha. Par ailleurs, les appels aux citoyens de ne pas se rendre immédiatement dans les colonies afin de préserver leur sécurité personnelle au cas où les colons ou l'armée auraient planté des mines ou d'autres explosifs n'ont pas été entendus. Les citoyens ont pénétré dans ce qui fut jadis des colonies juives, impossibles à approcher, presque en même temps que les forces de l'ordre. Une ambiance de véritable kermesse a régné dans certaines de ces colonies. Les forces de l'ordre ainsi que les citoyens ont chanté et dansé pendant ce qui restait de la nuit. Dans la ville de Ghaza, des voitures bondées de citoyens agitant des drapeaux palestiniens ou des emblèmes des différents mouvements de résistance, actionnant leurs klaxons, ont sillonné les rues. Des camionnettes transportant des haut-parleurs diffusant des chants et des communiqués politiques faisaient la navette entre les différents quartiers de la ville. Rares sont les Ghazaouites qui ont pu dormir cette nuit. Au petit matin, voulant être au cœur de l'événement, je me suis dirigé vers les colonies du nord de la bande de Ghaza. Pour arriver à ce qui fut la colonie de Dougit, non loin de Beit Lahia, au nord de Ghaza, j'ai dû emprunter des routes auparavant interdites à tout Palestinien. Dès que j'ai dépassé certaines limites qui m'étaient familières je n'ai pu m'empêcher de ressentir une forte émotion. Ces endroits qui faisaient tellement peur à quiconque qui s'en approchait étaient, hier matin, bondés de citoyens, à vélo, en voiture, à pied. Ils voulaient tous regagner Dougit. Une fois arrivé sur place, je me suis rendu compte que les soldats israéliens l'ont transformée en un gigantesque tas de gravats. Il ne restait plus rien de ces belles maisons aux toits en tuile rouge qu'on ne pouvait que regarder de loin. Même les arbres ont été déracinés. Quant à l'infrastructure de base, il n'en restait rien. Ils ont abattu les poteaux électriques, coupé les câbles, retourné l'asphalte à certains endroits. C'était la terre brûlée par excellence. Les citoyens déambulaient parmi les gravats. Tous avaient un large sourire. Beaucoup de drapeaux et d'emblèmes des mouvements palestiniens étaient plantés sur les décombres ainsi que sur ce qui restait des poteaux électriques. Abdallah, un homme de 50 ans qui transportait plusieurs enfants dans sa voiture, était radieux. « C'est une journée historique. Nous habitons non loin de cette colonie. Je connais cette terre bien avant que cette colonie ne soit construite. Etant enfant, je venais avec mes compagnons jouer ici. J'ai tenu à ce que mes enfants voient cet endroit au premier jour du retrait de l'armée israélienne. Nous espérons ne plus les revoir. » Adel, un jeune de 16 ans entouré de plusieurs camarades du même âge, nous a dit : « Nous avons marché des kilomètres pour arriver ici. Personne n'a été à l'école aujourd'hui. Nous voulions voir à quoi ressemblaient de près les colonies. Nous sommes très heureux qu'ils soient partis. Nous n'aurons plus à nous accrocher avec les soldats. Nos pierres ont joué leur rôle dans cette victoire. » J'ai quitté Dougit pour regagner Nissanit, une autre colonie légèrement plus au Nord où les scènes étaient quasiment semblables à celles de Dougit. Tout était systématiquement détruit. En fait, il ne reste des colonies que ce qui fut des synagogues. Ces bâtiments qui n'ont plus rien de lieux de culte ont échappé en dernière minute à la destruction. Le gouvernement israélien les a épargnés pour mettre l'Autorité et le peuple palestiniens dans l'embarras. Les citoyens en ont brûlé trois dès le matin. L'Autorité a décidé de détruire ces bâtiments dont le grand rabbin de l'armée israélienne a ôté le qualificatif de synagogues. « Nous devons dire que c'est un jour de joie comme le peuple palestinien n'en a pas connu depuis un siècle », a déclaré le président palestinien, Mahmoud Abbas, à des journalistes à Ghaza, dans la nuit. « Beaucoup de travail reste à faire, mais cela n'enlève rien à cette victoire. Nous voyons les soldats, les chars et les véhicules militaires israéliens quitter notre terre et le drapeau israélien abaissé de son mât et remplacé pour toujours par le drapeau palestinien », a-t-il ajouté. Qualifiant le retrait de « pas important » et d'« historique », il a toutefois affirmé que le départ des troupes israéliennes ne signifiait pas la fin formelle de l'occupation. « Les Israéliens sont sortis de la bande de Ghaza, mais ils n'ont pas mis fin à l'occupation, car ils continuent de contrôler l'espace aérien, la mer et les frontières. » Cet avis est partagé par l'ensemble des Palestiniens.