Le rapport final du concours international d'architecture qui doit attribuer l'étude et le suivi du projet de la grande mosquée d'Alger n'a pas pu être transmis à la présidence de la République à la fin de la semaine dernière. Un très sérieux contretemps menace les orientations du jury. En effet, l'assistant du maître d'ouvrage, le canadien Dessau-Sauprin, sélectionné pour suivre la procédure d'organisation du concours, a différé sa contresignature sur le rapport. Le bureau d'études canadien veut s'assurer de la conformité du rapport avec le code des marchés publics. « En langage diplomatique, cela signifie que le rapport n'est pas conforme à la législation. Il faut savoir que le chef de projet pour Dessau-Sauprin pour le suivi de la grande mosquée d'Alger est Serge Vezina, connu pour avoir dirigé l'étude du monument des martyrs, Riadh El Feth. Il a une réputation de rigueur et n'avalise pas n'importe quoi », explique un architecte proche du concours. La controverse viendrait du fait que le classement proposé par le jury n'agrée pas le ministère des Affaires religieuses qui penche ouvertement en faveur d'un ouvrage traditionaliste qui souligne « l'identité culturelle et architecturale algérienne ». Or, parmi les trois projets retenus dans la short liste de cinq, celui qui se rapproche de la vision des fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses, appuyé par le ministre Bouabdellah Ghlamallah, n'a obtenu que le troisième rang, notamment à cause de sa « relative convenance conceptuelle » et de son coût plus élevé. La pression de la tutelle se serait - rapporte une source sûre - exercée de plusieurs manières, notamment en demandant un audit technique avec l'arrière-pensée de faire éliminer les deux projets high tech de Architecture Studio (France) et de Atkins-ATSP (Grande-Bretagne, France, Algérie), en les faisant butter sur le test de constructibilité. L'audit aurait finalement conforté ces deux projets dans leur faisabilité, tant et si bien que le lobbying du ministère des Affaires religieuses, au profit du projet le plus classique, est devenu trop pressant pour ne pas faire dérailler la procédure de sa feuille de route juridique. Cafouillage C'est l'agence germano-tunisienne Kreber-Kiefef qui a signé le projet « style mosquée de Casablanca » qui semble emporter les faveurs de Ghlamallah, au point de provoquer « une manipulation du rapport final au détriment des deux projets classés avant lui par le jury ». Kreber-Kiefef présente toutes les garanties financières même si sa signature n'est pas aussi prestigieuse que celle du bureau parisien Architecture Studio (AS) ou du n° 1 mondial de l'engineering, Atkins partenaire avec ATSP de l'autre projet favori pour la grande mosquée d'Alger. Kreber-Kiefef est surtout connu en Algérie pour avoir signé l'étude du centre ultramoderne de criminologie de la Gendarmerie nationale à Bouchaoui, attribué de gré à gré à Brown Rooth and Condor (BRC), la joint venture en cours de dissolution de Sonatrach et KBR, après la révélation d'un immense scandale sur la surfacturation de ses prestations. Pour rappel, des trois dernières agences qui se disputent le concours d'architecture de la grande mosquée d'Alger, Kreber-Kiefef a présenté l'offre financière la plus coûteuse. Le directeur général de l'agence nationale en charge de l'ouvrage, Mohamed Alloui, a démenti de son côté que le jury ait pu exprimé une préférence à ce stade de ses travaux. « Nous avons opté pour une procédure d'évaluation des projets au standard mondial. Cela implique énormément de paramètres qu'il faut étudier convenablement. Le jury est composé de personnalités compétentes qui travaillent d'arrache-pied et en toute autonomie. Le président de la République vient d'ailleurs de renouveler sa totale confiance dans les délibérations du jury. » L'architecte algérien Halim Faïdi, qui a assuré avec son agence parisienne une mission complète sur le nouveau ministère des Affaires étrangères (plateau des Annassers), a saisi l'occasion de ce cafouillage pour rappeler sa position au sujet de ce concours international. « Il devrait être annulé et les concurrents dédommagés. La procédure est viciée. Le cahier des charges ne définit par les programmes et les surfaces. Les offres financières ne sont pas comparables. C'est ce qui explique pourquoi nous avons eu seulement dix-sept souscriptions dans un concours de taille mondiale. Il manque les grandes signatures internationales dans ce domaine. Pour un projet transcendant qui va configurer la baie d'Alger ce n'est pas normal. » Pour d'autres architectes proches du concours, la sortie au grand jour d'un parti pris « conservateur » dans ce concours annonce « la politisation des arbitrages ». L'identité française de Architecture Studio, noté légèrement devant Atkins-ATSP, pourrait devenir « un enjeu masqué » à quelques semaines de la visite d'Etat de Nicolas Sarkozy en Algérie. Le président Bouteflika a également la possibilité de faire valoir la présence prédominante d'architectes algériens dans le projet Atkins-ATSP, pour échapper au grand écart géopolitique.