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Djelfa, des milliards et des projets fictifs
Scandale à la générale des concessions agricoles
Publié dans El Watan le 12 - 11 - 2007

Le scandale de la Générale des concessions agricoles (GCA) a fait l'effet d'une bombe à Djelfa et laissé derrière lui une grande déception mêlée à de la colère.
Djelfa. De notre envoyée spéciale
Ce qui devait être un outil d'aide au développement de l'agriculture, notamment dans les régions du Sud, s'est transformé en tirelire des barons de l'importation d'équipements agricoles et d'entrepreneurs véreux. Créée en 1999, sur ordre du président de la République, la GCA a déjà consommé les trois quarts des 52 milliards de dinars (constituant le fonds d'aide), dans des projets dont plus de la moitié n'a pas encore été réalisée. L'entreprise a même financé des opérations de fournitures de semence de pomme de terre et d'engrais, non éligibles au fonds de mise en valeur, puisque à la charge des bénéficiaires de la concession. Certaines de ces opérations sont prises en charge sans qu'elles ne soient prévues ou autorisées par les décisions de projets et encore moins validées par le comité ad hoc, tel que prévu par la réglementation. Il aura fallu une lettre de dénonciation adressée au président de la République, en 2005, pour que le ministère de l'Agriculture soit saisi, et qu'une inspection de l'IGF soit dépêchée à la direction générale de la GCA, à Birtouta. L'expertise, qui se poursuit toujours, a concerné quelques échantillons de contrats et dossiers, et les résultats ont été accablants. Le parquet de Djelfa a donc été saisi et ce n'est qu'en début de 2007 que la gendarmerie a été instruite pour ouvrir une enquête. Celle-ci n'a pas été au fond du problème, puisqu'elle s'est limitée à des projets situés dans un échantillon de trois communes seulement de Djelfa. Les gendarmes n'ont pas élargi leur enquête aux autres wilayas où le préjudice est de loin plus important. Notre arrivée à Djelfa, point de départ de cette affaire, a créé la panique chez les responsables locaux. A commencer par le commandant du groupement de la Gendarmerie nationale (service qui a mené l'enquête), avec lequel nous avions un rendez-vous confirmé, mais qui a préféré ne pas s'exprimer au dernier moment. Le procureur général, nouvellement installé (juillet dernier), s'est refusé à tout commentaire, en se cachant derrière le sacro-saint secret de l'instruction. Même prétexte a été avancé par le président-directeur général de la GCA, Kacimi Belkacem, qui a succédé à Noureddine Fayçal, actuellement en détention provisoire dans le cadre de cette affaire. M. Kacimi, ex-directeur général du Haut commissariat au développement de la steppe (HCDS), s'est contenté de révéler que « la situation de la GCA a été assainie en grande partie pour rétablir l'ordre et l'organisation dans les dossiers ». Mais l'opinion publique à Djelfa connaît tous les détails de ce scandale, même si ces derniers ne sont divulgués que dans la discrétion la plus totale. La peur paralyse les Djelfaouis, tant les ramifications et les complicités sont importantes. Ils se demandent pourquoi c'est leur ville qui est la plus citée dans cette affaire, alors que le désastre touche beaucoup plus les villes du sud du pays. Le scandale de la GCA a éclaboussé surtout les sociétés qui activent dans les régions de Ouargla, Ghardaïa, El Oued et Laghouat. Les plus importantes sont celles qui semblent fonctionner comme un groupe d'entreprises privées qui avaient le monopole sur le programme de la mise en valeur des terres par la GCA à Ouargla, El Oued et Ghardaïa.
Le ministre savait tout...
Des entreprises dont les responsables ne seraient, selon des sources proches de l'enquête, que des prête-noms de hauts fonctionnaires de l'Etat. Elles ont eu droit pendant des années à des contrats dits « clés en mains », c'est-à-dire la réalisation de l'ensemble des actions des projets d'amélioration foncière, d'ouverture des pistes, de réalisation de forages, de bassins et de réseaux d'irrigation ainsi que la plantation de palmiers et la fourniture des équipements. Ces projets concernent, entre autres, les régions, explique une source, de Hassi Ben Abdallah, Choucha Hamra, Khechem, Rih et Hassi Touil. L'enveloppe financière accordée à ces contrats dépasse les dizaines de milliards de dinars. A elle seule, une de ces sociétés a bénéficié d'un plan de charge de plus de 3 milliards de dinars pour des projets jamais réalisés, ou à peine les travaux engagés. Le rapport de la Cour des comptes a fait état de sommes irrégulièrement perçues ou détenues par des particuliers dans le cadre du programme financé sur le fonds de développement agricole, en affirmant avoir constaté des doubles paiements de travaux, des règlements de montants ne correspondant pas aux volumes réels des travaux réalisés, de trop-perçus sur les rémunérations de la GCA et la détention irrégulière d'avances. Elle a constaté la détention irrégulière par des entreprises privées d'avances forfaitaires ou sur approvisionnement et dont certaines datent de 1999. De graves irrégularités ont été également relevées en matière de gestion de la GCA, dont les responsables « ont rarement recouru à l'appel à la concurrence, se contentant plutôt de la pratique du gré à gré simple dans l'attribution des marchés à des entreprises ne disposant souvent pas, a priori, des capacités financières, matérielles et techniques à même d'exécuter les travaux spécifiques qui leur ont été confiés dans les meilleures conditions de délais et de qualité ». La Cour des comptes est arrivée à une conclusion édifiante. « Ces marchés ont été à l'évidence décidés dans le but d'assurer aux entreprises privées un plan de charge plutôt que de répondre aux besoins des différents projets retenus. D'ailleurs, la majorité du matériel acquis entre 2001 et 2004 demeure non utilisé et reste en souffrance au niveau de certaines APC et de ce fait exposé au vol. » Le montant global des engagements de l'espèce contracté par la GCA sur le fonds au niveau de 71 périmètres, répartis à travers 17 wilayas, a été évalué à plus de 7 milliards de dinars, sur une donation de l'Etat évaluée à plus de 9 milliards de dinars. Les décaissements relatifs aux travaux réalisés, indique le rapport, ont atteint au 31 juillet 2007 la somme de plus de 4 milliards de dinars. Cette situation a causé un énorme préjudice au développement agricole de la région. Des visites sur terrain permettent de constater de visu les dégâts. Des dizaines de bassins et des centaines de forages construits visiblement à la hâte, juste pour justifier les dépenses. Sur des kilomètres, tout au long des routes de Aïn El Bel, Messaâd, Zaâfrane, pour ne citer que celles-ci, on ne voit que des poteaux électriques, des canalisations qui ne mènent nulle part, des restes de kits d'aspersion, des forages bouchés et des terres abandonnées. Un gâchis que des cadres de la GCA expliquent sous le coup de l'anonymat par plusieurs paramètres. D'abord par le choix des gestionnaires qui se sont succédé à la tête de la GCA et qui viennent en majorité du bâtiment ou de l'urbanisme. Fayçal Noureddine avait occupé pendant longtemps le poste de DG de l'EPLF de Hussein Dey, avant d'être relevé de son poste pour des motifs de gestion, et de revenir quelque temps plus tard à la tête de la GCA. « Tout le monde s'attendait à la situation actuelle de la GCA. Tous les responsables, y compris le ministre de l'Agriculture qui est le président du conseil d'administration, étaient au courant des malversations, de la gestion catastrophique et des passe-droits. Personne ne peut dire aujourd'hui le contraire. Si l'affaire n'avait pas été rendue publique, la GCA aurait continué à fonctionner telle qu'elle l'était », déclare un cadre de la GCA. Ce dernier regrette néanmoins que depuis janvier dernier tous les projets soient à l'arrêt et quelque 12 000 ouvriers exerçant pour le compte de la GCA n'ont pas été rémunérés. « Nous ne voulons pas que cet outil de développement de l'agriculture dans la steppe disparaisse du fait de la gestion de personnes non habilitées. Il n'y a pas eu que de mauvais projets. Certains ont été une réussite. Ce qui veut dire que la GCA peut être sauvée et réhabilitée pour aider au développement de la région comme cela est le cas pour le HCDS », notera notre source. Le scandale de la GCA soulève la grande problématique du contrôle des finances de l'Etat. Comment des fonds aussi colossaux sont-ils distribués sans aucun contrôle de l'autorité publique ? Comment expliquer que des sociétés privées sans aucune expérience ou savoir-faire, parfois créées la veille de la signature des contrats, puissent-elles avoir le monopole sur le financement de projets aussi importants que ceux entrant dans le cadre du développement de l'agriculture ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre tant les vrais responsables de ce scandale n'ont pas été inquiétés.


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