Alors que le parquet de Ouargla a convoqué cette semaine une quinzaine de personnes dans le cadre du scandale de la Générale des concessions agricoles (GCA), le président directeur général de cet établissement, Belkacem Kacimi, rompt le silence et fait de lourdes révélations. Après avoir été mis en cause par le Haut commissaire au développement de la steppe (HCDS), qui occupait le poste de directeur des finances et de la comptabilité (DFC) à la GCA, M. Kacimi sort de sa réserve et parle de « groupes d'intérêts obscures » qui ont bénéficié « des rentes » de la GCA et dont les paiements « sont gelés » à cause de « leur irrégularité » découverte par les commissions de l'IGF et de la Cour des comptes. Plus grave, le responsable indique que « malgré les pressions exercées par un groupe ayant en sa possession des marchés dépassant les 4 milliards de dinars, toutes les dispositions conservatoires seront maintenues jusqu'à ce que la justice tranche dans cette affaire. Il en est de même pour l'annulation des faux contrats établis au profit d'une seule société pour un montant de 576 millions de dinars ainsi que l'application de procédures transparentes garantissant la gestion rationnelle des deniers publics et qui ne permettent pas l'attribution de marchés dépassant les 600 millions de dinars à des sociétés gérées par des personnes dont l'âge ne dépasse pas les 22 ans, et ce, dans le but évident d'éviter d'hypothéquer l'avenir des citoyens qui attendent avec impatience la réalisation et la concrétisation du développement durable ». M. Kacimi ne met pas de gants pour rappeler à son successeur à la tête du HCDS, le « lourd héritage » qu'il lui a légué au niveau de la GCA, « plein d'erreurs de gestion, telles que les doubles paiements, le dépassement d'enveloppes allouées et la non-exécution des cautions bancaires, avances forfaitaires et avances sur approvisionnement ». Une situation, dit-il, qui a nécessité un règlement « juste après ma nomination au poste de PDG par le ministre de l'Agriculture, et ce, pour veiller à sauver un outil de développement, le reste, des dossiers de faux et usage de faux, paiement de factures pour des projets non réalisés étant du domaine du pénal, fait l'objet d'une enquête judiciaire auprès des tribunaux de Djelfa et de Ouargla ». Il est important de rappeler que ce scandale a éclaté vers la fin de l'année 2006, à Djelfa, où des fonds destinés au financement de projets entrant dans le cadre du développement de l'agriculture rurale ont été détournés au profit de nombreux entrepreneurs privés, sans qu'aucune réalisation ne soit effectuée. Le parquet a inculpé 46 personnes, dans le cadre de cette affaire, parmi lesquelles 7 ont été placées sous mandat de dépôt, 14 sous contrôle judiciaire et 3 ont fait l'objet de mandat d'arrêt. Les chefs d'inculpation retenus contre eux sont, entre autres, « faux et usage de faux en écriture publique, détournement de deniers publics, passation de contrats en violation avec la réglementation en vigueur et perception d'avantages illicites ». Cette semaine, c'est au tour de l'ancien DFC, actuel HCDS, d'être convoqué en tant que témoin par le parquet de Djelfa, alors qu'il y a une dizaine de jours, le parquet de Ouargla a, quant à lui, mis sous mandat de dépôt le directeur régional de la GCA, alors qu'un entrepreneur a été quant à lui mis sous contrôle judiciaire. Une quinzaine de personnes, notamment des dirigeants de sociétés privées ayant bénéficié de marchés dans le cadre du développement de l'agriculture à Ouargla, El Oued et Tamanrasset ont été convoquées pour cette semaine et leur audition se poursuit toujours. Selon de nombreuses sources, les investigations pourraient aboutir à des révélations encore plus importantes que celles parvenues de la ville de Djelfa, alors que d'autres parquets pourraient s'autosaisir pour passer au peigne fin l'ensemble des projets financés dans les 23 wilayas où la GCA est implantée. Il s'agit en fait du plus grand scandale auquel a été confronté cet établissement créé début 2000 par le président de la République pour soutenir, aider et encourager le développement de l'agriculture dans les régions du Sud. Sur un budget de 52 milliards de dinars alloués, 40 ont été déjà consommés dans des projets affectés à des entrepreneurs privés et dont la réalisation n'a pas eu lieu dans l'écrasante majorité des cas. Sur instruction du Président, une mission de l'Inspection générale des finances (IGF), suivie d'une enquête de la Cour des comptes ont levé le voile sur un immense trafic ayant généré d'importantes pertes financières au Trésor public. Ainsi, l'IGF a fait état dans son rapport adressé au ministre de l'Agriculture, vers la fin du mois d'août dernier, entre autres, des doubles paiements de situation de travaux jamais réalisés, des trop-perçus sur des rémunérations. Pour la Cour des comptes, la GCA a rarement recouru à l'appel à la concurrence et s'est contentée plutôt de la pratique du gré à gré dans l'attribution des marchés à « des entreprises ne disposant souvent pas, a priori, des capacités financières, matérielles et techniques à même d'exécuter les travaux spécifiques qui leur ont été confiés dans les meilleures conditions de délais et de qualité ». Pour de nombreux agriculteurs et professionnels, les ramifications de ce scandale à travers d'autres wilayas du Sud, dont El Oued, Ouargla et Ghardaïa, sont les plus graves et les plus importantes, dans la mesure où les montants détournés sont de loin plus élevés que ceux enregistrés à Djelfa et risquent d'éclabousser de hautes personnalités de l'Etat qui auraient agi en usant de prête-noms. Les deux enquêtes des parquets de Djelfa et de Ouargla ne sont qu'au stade préliminaire. Des sources judiciaires affirment que l'étau se ressert autour des prête-noms et il n'est pas exclu que l'instruction arrive à lever le voile sur cet immense scandale.