Depuis l'arrivée massive des fellahs de la région du Dahra, les techniques ancestrales toutes héritées de l'ère de Massinissa auront dans un premier temps choqué les tenants d'une agriculture techniciste, qui parviendront en une seule saison à bouleverser frontalement les pratiques culturales locales, notamment par une judicieuse adéquation entre une praxis artisanale et le recours systématique à la fertirrigation. Cette forme est très élaborée où la micro irrigation est subtilement associée à l'usage raisonné d'engrais solubles. Plus chers, mais terriblement plus efficaces que les engrais primaires dont l'usage n'assure pas toujours de bons résultats, surtout lorsque les cultures sont installées sur des terrains légers et accusant de fortes pentes ! En effet, les terrains qui servent de champs d'application à ces paysans venus d'ailleurs, avaient été totalement laissés à l'abandon par leurs concessionnaires en raison de l'extrême aridité des sols et de leur topographie fortement hétérogène. Pourtant, dès les premières récoltes de maraîchage, les performances étaient bien au rendez-vous. Depuis, ces terres qui à l'indépendance étaient couvertes de vignobles, allaient se transformer en parcelles à céréales et à fourrages, sans toutefois parvenir à des résultats probants. Car l'absence d'irrigation et l'indigence des apports pluviaux se ligueront pour dissuader résolument les cultivateurs. Lassés par des rendements dérisoires et atteints par la limite d'âge, ces rudes fellahs s'en remettront à ces courageux compatriotes qui ne se feront pas prier pour défricher et cultiver des surfaces de plus en plus grandes, à la grande satisfaction des anciens fellahs des EAC et EAI, reconvertis en chômeurs de luxe. Mais cette extension de l'agriculture irriguée ne concernera que les terres de Mazagran, Hassi Mamèche et de Stidia. Dans les autres régions, les fellahs continueront à intensifier les cultures en recourant à des spéculations primeurs, que l'on pratique essentiellement dans des abris serre conventionnels de 9x50 mètres. Ce qui libèrera de grandes surfaces pour des cultures de plein champ. Les saisons bouleversées Arrivés dans la région à la faveur de l'insoutenable climat d'insécurité qui aura caractérisé durant plus de 10 ans leur région d'origine, qui s'étale depuis les contreforts de Cherchell jusqu'à la paisible cité de Ténès, ces rudes montagnards dont le parler constitue une sensible variante de Tamazight, s'avèreront être les dignes successeurs de Massinissa. Appliqués à l'extrême, peu diserts mais terriblement efficaces, ils auront vite fait de transformer toute la région en un immenses chantier d'où partent à longueur d'année d'interminables processions de camionnettes chargées de divers produits maraîchers qui alimentent régulièrement le marché de gros de Sayada où viennent s'approvisionner les commerçants de toute la façade maritime et des villes de l'intérieur. Ayant mis en place une organisation du travail très originale, les ouvriers sont impliqués dans l'organisation des opérations culturales mais également dans la distribution à la source. En effet, ne percevant durant les cycles de production que des avances, les employés tous originaires de la région du Dahra prélèvent leur quote-part sur le champ, au moment de la récolte. Ensuite, les produits revenant à chacun des partenaires peuvent être vendus, selon la convenance, sur place ou au marché de gros. Ainsi, quelque soit le rendement obtenu, le patron et ses employés prélèvent leurs dus en nature. Chacun est ensuite libre de vendre sa marchandises comme bon lui semble. De la sorte, tout litige devient superflu. Ce système très original permet à chacun de prendre en fonction de ce qu'il apporte. Cette organisation qu'ils sont les seuls à avoir mise au point, commence à faire des émules chez les fellahs de la région qui éprouvent beaucoup de difficultés à trouver des partenaires. Force est de constater que chez ces berbères, la formule semble remonter aux temps les plus éculés. Le plus évident est que la formule fonctionne à merveille. La preuve est dans les champs où dès les premières lueurs de l'aube, à l'exception des jours de pluie, s'activent dans une parfaite discrétion de jeunes agriculteurs. Appliqués comme des chinois, ils n'ont besoins ni de contremaître, ni de patron. Leurs tâches étant parfaitement maîtrisées, ils s'ingénient à bichonner leurs cultures qui le leur rendent bien. Après avoir parfaitement appréhendé les paramètres environnementaux et météorologiques de la région, ils sont parvenus à mettre en chantier un plan de culture quasi immuable, où prédominent les tomates sous serre et d'arrière-saison, les courgettes et les concombres qu'ils intercalent souvent entre les rangées de solanacées. Dans les serres où poussent aubergines et poivrons, ils n'oublient jamais quelques rangées de haricots fins dont les prix peuvent atteindre en plein hiver les 200 DA au kilo.