Les Américains vont très certainement devoir réviser leur stratégie pour faire juger Saddam Hussein par procuration par un tribunal irakien sous leur totale emprise. Lors de sa première comparution devant le Tribunal spécial irakie (TSI), la presse internationale aura été unanime à relever que l'ancien Président déchu a indéniablement marqué des points face à ses juges et, à travers eux, aux pays de la coalition avec à leur tête l'Administration Bush. Saddam, qui s'est présenté devant la cour sans ses avocats engagés dans une bataille judiciaire et procédurière avec les autorités irakiennes pour obtenir des garanties d'un procès régulier pour leur client, avait assuré lui-même sa propre défense en se montrant tout aussi ferme dans ses convictions et déterminé à ne pas cautionner ce qu'il considère être une parodie de procès. D'entrée de jeu, Saddam a planté le décor en rejetant la légitimité du tribunal qu'il a qualifié de « théâtre pour la campagne électorale de Bush » avant de refuser de signer l'acte d'accusation comportant pas moins de sept chefs d'accusation, dont le tribunal s'efforcera à obtenir la qualification de crime contre l'humanité pour ne laisser aucune chance à Saddam, aussi mince soit-elle. Nullement affaibli par le sort qui est aujourd'hui le sien et les conditions difficiles de sa clandestinité et ensuite de sa captivité, Saddam est apparu comme un homme d'une grande lucidité assumant fièrement tous ses actes à la tête du pays, à commencer par l'invasion du Koweït, et résolument déterminé à faire de son procès celui de George Bush si toutefois les Américains consentent à en faire un procès régulier et public. Le sentiment qui prédomine après la comparution jeudi de Saddam incline plutôt à penser que le procès suivra le cours que les Américains voudront bien lui donner. L'opinion internationale, qui suit sans doute avec intérêt ce procès tant le conflit a été internationalisé comme aucun autre conflit des temps modernes ne l'a été avec en point de mire la diabolisation de Saddam autour de l'existence qui s'est avérée virtuelle des armes de destruction massive, découvre déjà, après la première comparution de Saddam, les limites politiques de ce procès. Les images et les propos de Saddam devant la cour diffusés sur les grands networks furent soumis à la censure pour ne retenir que ce qui est politiquement productif pour la stratégie américaine visant, à travers la condamnation de Saddam par un tribunal irakien, à justifier sa guerre en Irak après que l'Administration Bush eut échoué à présenter à l'opinion internationale des preuves de ce pourquoi elle a décidé de chasser Saddam du pouvoir, à savoir la présence supposée dans ce pays d'armes de destruction massive. En attendant de voir dans quel sens va évoluer le procès de Saddam au plan de la procédure et du respect des droits de la défense, les Irakiens qui sont les premiers concernés par cet événement se montrent partagés sur le procès de Saddam. Les schismes communautaires et religieux opposant chiites et sunnites, un temps mis en sourdine depuis la fin officielle de la guerre pour laisser place à une mobilisation autour de la résistance à l'occupation, ont refait surface à l'occasion de l'ouverture du procès de Saddam. Les proches de Moktada Sadr, le chef chiite radical activement recherché par les forces de la coalition, exultent et appellent à « l'exécution rapide de Saddam », apportant ainsi de l'eau au moulin de leurs ennemis irréductibles : les Américains. En revanche, les partisans de Saddam ont défilé dans la ville sunnite de Samarra, au nord de Baghdad, brandissant les portraits du président déchu et scandant : « Par notre sang, par notre âme, nous défendrons Saddam. » La mise en accusation de Saddam risque en effet de pousser la guérilla irakienne, particulièrement les groupes armés restés fidèles à Saddam, à intensifier les opérations armées contre les forces de la coalition et les hauts fonctionnaires des institutions du pays. Hier, ce sont deux hôtels habités par les journalistes et les hommes d'affaires, le Sheraton et Palestine, situés au cœur de la capitale, à Baghdad, qui furent ciblés par des attaques à la roquette par la guérilla. Une source de la coalition qui a requis l'anonymat, citée hier par le New York Times, révèle que les effectifs de la guérilla oscillent entre 4000 à 5000 hommes, précisant que ce chiffre est constant depuis le début de l'occupation, laissant ainsi entendre que le recrutement pour remplacer les activistes tués ou arrêtés ne pose aucun problème. C'est dans ces conditions que le chef d'état-major interarmées américain, le général Richards Myers, a confirmé hier, sur une chaîne de télévision, que l'armée américaine restera encore en Irak au moins cinq ans encore.