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Curieuse campagne à Sedrata (Souk Ahras)
Une paupérisation visible, palpable…
Publié dans El Watan le 29 - 11 - 2007

Souk Ahras vit la campagne électorale la plus morose depuis l'indépendance. Rien n'augure des élections dans cette localité. Ni bains de foule, ni cortèges d'antan, ni même des citoyens qui viendraient afficher leur appartenance politique ou à défaut des affinités avec une quelconque formation en lice.
Avec ses 60 000 habitants, Sedrata, commune distante de 70 km du chef-lieu de la wilaya de Souk Ahras, vit la campagne électorale la plus morose depuis l'indépendance. Hormis les échos çà et là à propos des futurs candidats aux deux assemblées locales, rien n'augure des élections dans cette localité où tout nous rappelle un décor des films du Far West. Ni bains de foule, ni cortèges d'antan, ni même des citoyens qui viendraient afficher et leur appartenance politique ou à défaut des affinités avec une quelconque formation en lice. Pis encore, les affiches des candidats sont quotidiennement arrachées par des jeunes, souvent au vu et au su de tout le monde. Simple réaction de narcissisme juvénile ou refus d'une mascarade qui n'a que trop duré. Ecoutons certaines gens de Sedrata nous parler des élections : « Les promesses-miracles ne mobilisent plus les gens de Sedrata dont une bonne partie peine à subsister devant une paupérisation rampante, un chômage endémique et une déliquescence du pouvoir d'achat jamais atteinte auparavant », nous lance, tout de go, un quinquagénaire avisé qui invitera un autre citoyen attablé au même café à se prononcer sur le sujet. Lequel enchaînera sans se faire attendre : « Qui dois-je choisir le 29 novembre 2007 ? La pérennité d'un parti mammouth, des highlanders recyclés ou propulser un nouveau groupe de prétendants téléscopé par la grâce des recommandations, du népotisme, des transactions et des arrangements claniques ? » Au boulevard du 8 Mai 1945, l'unique lieu de rencontre, défiguré par des monticules de gravats, un fatras de béton et des immondices, des jeunes dont l'âge varie entre 20 et 30 ans expriment sans réserve leur ras-le-bol et semblent même narguer quelques passants soupçonnés d'appartenir à une mouvance politique représentée localement : « Nous regardons s'égrener les jours et point de changement à Sedrata, pourtant nous entendons parler d'un baril du pétrole à 100$. Cette embellie, nous vous l'assurons, n'a pas profité à la région, jugez-en vous-mêmes », a résumé l'un d'eux. Et à un autre de renchérir : « C'est par la voie des élections que certains ont réussi à améliorer leur situation sociale dans cette ville où l'on est persuadé que c'est l'unique brèche qui vous permettra de changer de statut en un temps record. » Une explication qui rejoint dans le fond la réflexion faite par un universitaire de Souk Ahras que nous reproduisons au risque de frôler le superflu dans ce reportage : « Le concept du rêve américain s'explique par le fait qu'un cordonnier spécialisé dans la confection des chaussures devienne après trente ans de dur labeur sans surprise propriétaire d'une usine sinon d'une chaîne d'usines spécialisées toutes dans le même créneau. En Algérie, celui qui adhère à un parti politique et qui sait comment s'y prendre est capable d'atteindre sans peine un poste de responsabilité et la chaîne d'usines avec plein d'autres privilèges sans qualification, sans diplôme, voire sans effort manuel à l'instar de celui du cordonnier : c'est le rêve algérien. » Sedrata, tout comme la ville de Souk Ahras, n'a pas connu de nouveaux espaces aménagés ou de places publiques depuis l'époque coloniale. L'unique artère principale se trouve submergée par les mendiants et les malades mentaux dont quelques-uns en tenue d'Adam. Ils finissent souvent par vous aborder qui pour quémander quelque obole, qui pour vous fixer du regard et repartir ensuite sans mot dire. D'autres vous collent carrément aux basques et ne lâchent prise qu'une fois leur vœu exaucé. Des jeunes discutent de l'autre côté de la rue à propos d'un match de football et ponctuent leur débat de brouhaha, alors que d'autres critiquent un cours de maths, mais point de politique ou d'élections. Nullement découragés par le désintérêt affiché par la population, les représentants des différents partis sont déjà sortis de leurs gonds pour prêcher, à l'instar des spots télévisés, la participation massive des citoyens lors des prochaines joutes électorales, avec un prétentieux « imposer vous-mêmes votre exécutif » en guise de parade à l'encontre de ceux qui ont déjà perdu tout espoir de changement ou de renouveau. D'autres crient gare à la fraude après avoir longtemps servi dans quelques organes de décisions locaux et centraux comme supports stratégiques pour l'ex-parti-Etat, et d'autres encore font dans le tribalisme et tentent vaille que vaille de mettre de leur côté les trois plus importantes tribus de la région, à savoir les Beni Daoud, les Beni Oudjana et les Ouled Boukehil. Ces trois pôles ethniques sont souvent appelés à la rescousse par certains candidats pour mettre à profit l'esprit de corps qui, faut-il le rappeler, trouve peu d'écho au sein de la population juvénile plutôt éprise d'équité et de justice sociale par ces temps de disette chronique dans cette commune, où les signes de misère sont apparents et où les problèmes liés à l'environnement, au transport, au logement et à la santé sont légion.
Signes apparents de misère
Si l'on juge Sedrata en matière d'extension urbaine, d'aménagement des espaces verts, des aires de jeux pour enfants et d'amélioration de l'environnement de manière générale, le verdict sera unanime et sans appel, puisque tout indique que cette commune s'acharne à faire fleurir les bidonvilles dont cinq en plein centre-ville et fait peu de cas de l'entretien des rues et artères conformes aux conceptions urbanistiques universelles, qui se comptent d'ailleurs sur les doigts d'un manchot. Les chaussées éventrées, la gadoue, les défaillances dans les canalisations des eaux usées, le manque d'infrastructures de loisirs et de détente sont autant de carences qui viennent se greffer au quotidien des habitants de cette commune oubliée par ses élus pendant des décennies, à en juger des retards, tous secteurs confondus. La cité bidonville Achour en est le parfait exemple. Menacées pendant la période estivale par les rongeurs, les insectes et même les reptiles, les dizaines de familles vivant dans des taudis et galetas rêvent, depuis des décennies, de logements. Si l'été est synonyme de calvaire pour ces Sedratis, ils ne sont pas mieux lotis pendant les autres saisons. La période hivernale y a déjà sonné le cor aux inondations sans danger, certes, mais ô combien difficiles à supporter par ceux qui vivent déjà dans la précarité au milieu des baraques et autres logis de fortune. Ce sont 4000 demandeurs de logements dont ceux de cette cité qui attendent une attribution, quelle que soit la formule. Ce chiffre a été pourtant réfuté par une source proche de la commune sortante qui estime que les dossiers officiellement recensés ne dépassent pas les 900. Loin de cette polémique des chiffres engagée entre les deux parties, nous avons opté pour les propos d'une personne logée et à l'abri du besoin : « La crise du logement persiste à Sedrata, d'abord à cause d'une forte pression provoquée à l'instar des autres villes d'Algérie par le boom démographique et l'exode rural, ensuite à cause des faux postulants et des trabendistes de l'immobilier qui existent un peu partout, même du côté de quelques élus locaux. Notons aussi l'absence de projets de grande envergure dans le domaine du logement social ainsi que les réticences constatées chez les promoteurs qui se lancent depuis peu dans le logement participatif de manière timide. » Le problème de l'emploi est l'autre pierre d'achoppement de la commune qui compte une minoterie, une usine à papier, une unité de production des produits métalliques et quelques autres manufactures privées qui peinent toutes réunies à maintenir 700 postes d'emplois et sont incapables, de ce fait, de résorber le nombre important des chômeurs, dont le taux est estimé, selon un parti représenté localement, à 30%. Taux réfuté par un ex-élu de la commune et un autre de l'APW qui le limitent à 20%. Le secteur de la santé dont les carences ont été mises à nu lors de la dernière visite du ministre souffre d'un manque de moyens et de médecins spécialistes. Lesquels problèmes viennent d'être partiellement résolus, apprend-on auprès des responsables de ce secteur important. Les citoyens, eux, ne l'entendent pas de cette oreille et font toujours état d'une gestion approximative, notamment pour ce qui est du service des urgences, submergé quotidiennement par des patients en provenance de 10 communes limitrophes. Les problèmes de l'insalubrité des rues, celui des défaillances dans l'AEP, la désorganisation du secteur du transport et autres sont à mettre sur le compte d'une prise en charge déficiente qui se repaît de quelques actions sporadiques pour inviter ensuite les élus communaux à céder la place à d'autres et rebelote. Pour ces raisons et pour d'autres, cette localité, qui était autrefois un havre de paix, observe depuis quelques années l'apparition de plusieurs maux sociaux et une inquiétante recrudescence de la violence aboutissant parfois à des crimes. La manipulation politicienne est l'autre phénomène qui commence à faire des émules dans une localité où les habitants réputés pour leur docilité ont réagi, il y a une année, par l'émeute.
Six partis et une liste d'indépendants
Les partis qui se disputeront les élections du 29 novembre à Sedrata agissent cette fois-ci dans la discrétion mais ne ménagent aucun espace susceptible de convaincre une population que tout le monde sait peu motivée, voire hostile aux discours partisans. Plutôt frugales, les formations en lice ne recrutent que rarement les animateurs de campagne, comme ce fut le cas lors des élections de 2002. Les surveillants bénévoles font défaut et même les meetings animés par les présidents de parti se déroulent dans l'indifférence totale. C'est dire toute l'indigence de la classe politique et son incapacité de convaincre par le biais des discours retapés, où l'on rabâche inlassablement des promesses avec un arrière-goût de déjà-vu. C'est dans l'un de ses fiefs traditionnels que Louisa Hanoune se redéploie et mise à travers ses anciens militants, mais également des nouvelles recrues parmi des étudiants, des syndicalistes et fonctionnaires, pour améliorer le record de sept sièges enregistrés aux élections de l'APW en 2002. L'ex-P/APC FLN, en l'occurrence Meniaï Larbi, a décidé de faire cavalier seul et d'opter pour une liste indépendante, malgré les appels de son parti d'origine qu'il vient de quitter « pour incompatibilité d'humeur avec certains décideurs, notamment ceux qui ont confectionné des listes sans égard pour les principes fondamentaux du parti », pour répéter l'expression d'un sympathisant de la même ville. Le RND, à son tour, ne veut pas y aller de main morte puisque misant sur une liste dite balaise avec comme chef de file Samir Abid. Boulouh Abderrahmane et Amari Djamel-Eddine, les deux issus du secteur de l'éducation, représentent respectivement le FFS et le MSP et seraient rassurés par leur ancrage et la corporation à laquelle ils appartiennent. Même esprit chez les militants du FNA dit, à son tour, un promoteur à Sedrata puisque misant sur une équipe peu ou prou fiable. S'agissant de la position de la société civile et du mouvement associatif, l'heure est déjà aux tentatives de mobilisation de dernière minute. Sont sollicités les comités de quartier, les sportifs de renommée locale, les présidents d'associations tous caractères confondus et les organisations de masse censées respecter leur vocation initiale, courtisées au même titre, se perdent au milieu des promesses jurées sans lendemain mais se plaisent quand même dans leur statut de satellite avec une immunité tacitement reconnue par les états-majors de quelques partis gras et par ricochet le pouvoir.
À propos de pouvoir…
« Sedrata est la deuxième ville après Souk Ahras où l'on a l'impression que tout se discute autour d'une table avant d'être officialisé et que l'officiel n'est pas forcément formel », propos des habitants de cette ville de la wilaya qui n'a pu échapper, des décennies durant, aux groupes de pression, aux lobbies décideurs locaux, aux projets mercantilistes et à l'impunité. Toutes les questions posées aux citoyens à propos du sujet ont trouvé des réponses confirmant la présence de groupes occultes, où malheureusement se trouvent impliqués d'une manière ou d'une autre des élus. Pour un recrutement, pour un logement, pour avaliser une liste de candidatures dans des partis promoteurs, pour l'octroi d'un marché ou pour tout autre droit ou avantage, un noyau imperceptible, inamovible mais connu de tous et jouissant d'accointances rassurantes promet et réussit, à l'instar de celui existant au chef-lieu de wilaya, ses promesses, même celles relatives aux bulletins annuels de bonne ou de mauvaise santé (c'est selon les cas et les dividendes) pour la commune. Point n'est besoin de rappeler qu'à mesure que la paupérisation, qui a atteint des pans entiers des couches sociales, fait des siennes à Sedrata, même parmi ceux qu'on appelait jusqu'à une date récente – par euphémisme ou par pudeur – classe moyenne, le nombre des nantis redouble et les appétits voraces s'affichent au grand jour : tribalisme, promesses, clins d'œil vers les intimes, véhémence envers d'autres… le tout enrobé dans une campagne truffée, au moins à Sedrata, d'appréhensions, de réticences et d'un sentiment de déjà-vu. Il reste à savoir si la nouvelle configuration de l'APC n'ira pas se confondre par son apathie et son immobilisme aux vestiges de cette ville millénaire et aux mille et une vertus.


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