La tension est montée d'un cran dans plusieurs quartiers d'Alger-Est. C'est que cette partie est devenue en raison des catastrophes à répétition un endroit où l'« on parque » des sinistrés venus de tous les quartiers d'Alger. Les chalets « servent » toujours, et certains se sont écroulés sous l'effet des eaux. Les occupants qu'ils soient ceux de Ali Amrane, Rouiba ou bien Réghaïa désespèrent de voir leur calvaire prendre fin après des années d'attente. « Personne ne pouvait aller aux bureaux de vote. Qui pouvait s'y rendre ? », dira Hamid qui assure avoir vécu la moitié de sa vie de « forçat » à Bateau cassé, bidonville qui a pris les contours d'une favela tentaculaire. « Les gens des alentours parlent de nous de Daâoui Echar (malédictions), mais qui d'entre eux, assure-t-il, est en règle avec El Houkouma. » Pour lui, les occupants des lotissements se sont offert un lot de terrain en graissant la patte à un élu local. Le baraquement de Bateau cassé fait de bric-à-brac, où s'entassent plus de 600 personnes, a pris eau de toutes parts. La remontée des eaux fut irrépressible dans ce bidonville qui longe une partie de la côte de Bordj El Kiffan. Le bidonville, envasé depuis le début des intempéries, a été pris en tenailles entre la mer au nord du « camp » et les eaux d'assainissent qui ont dévalé de la piscine du parc aquatique voisin. Les pompiers sont venus une première fois mais ils n'ont rien pu faire. « Ils ne sont venus que des heures. Nos maisons étaient inondées. Comment aspirer l'eau de la mer avec une seringue ? », se désole Djamel, un autre jeune qui a pris part à la fronde. Seule trouvaille : l'occupation de l'école primaire de Verte Rive, quartier tout proche. « Il y a des chalets que leurs occupants ont quitté mais personne ne veut nous y placer », insiste une mère de famille, un nouveau-né dans les bras, rencontré dans la cour de l'école. La route menant de Benzerga à Qahouet Chergui à hauteur de Harraga a été aussi barricadée. Là également, plus de 17 familles « se croyant dans leur bon droit » ont occupé des chalets dans la nuit de jeudi à vendredi. Elles n'y furent délogées que dans la matinée, « avec la fermeture des bureaux de vote », assure un riverain un tantinet rigolo. La confiance s'est « cassée » Les habitants ne se gênent pas pour s'en prendre aux élus locaux qui n'ont pas tenu leurs promesses. « Pas besoin de voter », s'écrient des jeunes remontés contre les « élus du bakhchich » qui ne lorgnent pas les intouchables qu'ils sont. « On n'était au début que 44 personnes à occuper cet endroit et malgré les démolitions faites par nos soins, le nombre a augmenté. On ne pouvait pas se faire des ennemis alors que les autorités n'interviennent pas », explique Hamid. De ce côté-ci, la RN24 a été très tôt prise d'assaut par des bandes de jeunes. « Personne ne s'en approchait. Les gendarmes venus en force sont vite repartis », lance cet émeutier dont les copains n'ont pas accepté la présence de notre reporter photographe (Malika Taghlit) qui a reçu un projectile à la cuisse. Bateau cassé n'a pas autant mérité ce nom que ces jours d'intempérie et de « hamla », qui ont tout mis à nu. L'odeur des égouts s'est mêlée à celle, persistante, des troncs d'arbres et des pneus brûlés. Les pluies n'en ont pas réduit la persistance. Un redéploiement de gendarmes était visible en fin de journée de jeudi. Munis de l'attirail « nécessaire », ces brigades anti-émeute sont venues en soirée pour embarquer une dizaine d'émeutiers qui « sentaient » la cendre. « Au lieu d'aller secourir des sinistrés, des pompiers sont venus épauler les gendarmes », se désole un riverain. La commune de Bordj El Kiffan a les pieds dans l'eau. « Aucune habitation n'y a échappé », s'indigne son copain qui ne s'explique pas la « volte-face » des autorités qui ont promis de régulariser la situation des occupants des bidonvilles. Le comité de quartier mis sur pied pour négocier avec les autorités ne fait pas l'unanimité. Les habitants des alentours, qui ont baissé rideau, assurent ne pas partager le geste des « meutes venues des bidonvilles », mais sont indignés par la gestion « éhontée » de la catastrophe, qui ne les a pas épargnés alors qu'ils habitent des maisons en dur. « Les bottes sont de rigueur, même dans nos chambres. »