Dans cette région du nord du royaume, près de 80 000 hectares produisent annuellement 100 000 tonnes de kif brut, engendrant près de 2 milliards de dollars de revenus, tous les ans. Un business qui se fait avec la bénédiction des Saints du trône et de leurs sbires…Des superficies verdâtres s'étalent à l'infini. Au milieu des champs, un nombre incalculable de hangars de stockage, des ateliers de fabrication de différentes variétés de zetla, du double zéro à la gabba, comme on dit ici (traduisez mauvaise qualité). Les lieux du seigneur sont inviolables ; il est plus facile d'aller en touriste sur la lune que de pénétrer à l'intérieur de ce site industriel à ciel ouvert. Sur les abords de la route, des bambins et des femmes aux tatouages bien visibles proposent de petites plaquettes de résine de cannabis à prix concurrentiel. Des petites quantités comme échantillon à d'éventuels commandes. Mais, le gros trafic ne s'échafaude pas sur les trottoirs. Témara, l'antre du diable où l'on risque de vous fourguer de la drogue et vous dénoncer aux barrages douanier et de la gendarmerie royale, deux kilomètres plus loin. Et c'est toute une spirale qui s'enclenche autour de vous. « Imaginez bien que si la culture du kif est permise, le trafic est une autre histoire, c'est comme cela, tout est affaire de barons et d'argent et donc de la complicité à tous les niveaux », affirme Zoubir, un confrère marocain. Convoyage de nuit La production de Témara, bien gérée par un réseau, prend inéluctablement deux destinations : l'Espagne et l'Algérie. Des véhicules qui s'approvisionnent selon un programme bien défini sortent des plantations avec en moyenne 2 quintaux chacun. Comme on sort d'une huilerie ou d'une cimenterie. Une fois le droit de passage payé, les véhicules avalent l'asphalte tranquillement en direction, en ce qui nous concerne, de Oujda, capitale de l'Oriental et porte privilégiée sur cette Algérie généreuse. Et c'est là que la pègre négocie : qualité, quantité, prix, date de passage… Et comme la frontière est poreuse, la traversée s'effectue après que « le laissez-passer est obtenu ». La marchandise, qui est convoyée de nuit ou à l'aube, généralement à dos d'âne, jamais à bord de véhicules à moteur, est acheminée à la limite de l'escorte officielle jusqu'aux entrepôts des villages avoisinants de Maghnia, de Marsat Ben M'hidi, Souani, Sebdou… Le convoyage de la drogue vers les villes d'Oran, Alger, l'Est et le Sud s'effectue d'une manière étudiée. « Ecoutez, monsieur, personne n'est dupe, les trafiquants achètent la route pour faire passer leur poison. » « Ici, nous sommes tous en situation de sursis, le pouvoir de l'argent peut nous broyer en un clin d'œil. Quant aux barons, les vrais, ceux qui font et défont les lois locales, ceux-là on ne les voit pas. L'ostentation vient de leurs proches, mais bon. »