De quelque côté où on se trouve, l'hippodrome du Caroubier s'impose à la vue grâce à son immensité territoriale et à sa position géographique parfaitement étudiée. Fruit du prolongement urbanistique de la baie d'Alger, il complète harmonieusement la chaîne de œuvres architecturales que le génie humain a mise en pratique sur le terrain. Seulement, les milliers de regards qui le croisent quotidiennement se questionnent légitimement à juste titre sur son état d'abandon et le pourquoi d'une telle situation en jachère. Avant d'aboutir à la satisfaction de cette curiosité nullement indiscrète, faisons une intrusion historique. L'hippodrome du Caroubier, jadis baptisé « le petit Longchamps » en référence à la similitude avec son prestigieux devancier situé en territoire français, construit dans les années 1930, abritait comme son nom l'indique si bien les courses de chevaux. Avec l'avènement de l'indépendance, la Société des courses d'Alger (SCA) est créée pour le gérer et en 1977 tombe comme un couperet la fameuse ordonnance 77/04, signée par le défunt président Houari Boumediène interdisant la prise des enjeux sur l'étranger, allusion faite aux coures se tenant en France. Même amputée d'une certaine source de financement, la SCA continue à maintenir le cap en se contentant des réunions hippiques au niveau national que le Caroubier et autres champs de courses dits de « province » abritaient. En 1984, coup de tonnerre dans les milieux des courses : les autorités politiques intiment l'ordre de déménager dare-dare en raison de la construction de la radiale de Oued Ouchaiah. La SCA élit domicilie à Oran et l'hippodrome du Caroubier est passé sous la coupe de l'OPLA (Office des parcs de loisirs d'Alger) qui s'avérera quelques années plus tard un gigantesque lupanar à ciel ouvert que les familles algéroises choquées par de telles pratiques déserteront à jamais. La décrépitude Le Caroubier entame alors sa décrépitude au grand dam des férus du hobby équestre, tandis que la SCA est dissoute et remplacée au pied levé par la Société des courses hippiques et du pari mutuel (SCHPM) avec transfert intégral de tout le patrimoine humain et infrastructurel, transfert auquel curieusement l'hippodrome du Caroubier échappe et demeure sous concession au profit exclusif de l'OPLA auquel il ne sert qu'à abriter son siège social, fleur élégamment faite par sa tutelle, la wilaya d'Alger, privant ainsi la SCHPM et les dizaines de milliers d'inconditionnels du cheval respectivement d'une manne financière incommensurable et d'un spectacle haut en couleur, générateur de fonds et de plaisir. Entre temps, en 1991, le gigantesque hippodrome de Zemmouri, perle hippique exceptionnelle sur le continent africain, vient pallier ce vide affreux (bien que le SCHPM dispose de sept autres hippodromes : Oran, El Eulma, Tiaret, Laghouat, M'sila, Barika) et abrite en sus des meetings équestres hebdomadaires, la tenue du prestigieux grand prix du président de la République, kermesse annuelle représentant la conservation du gratin que renferment nos effectifs équins à l'échelle nationale. Seulement, au fil du temps et éloignement aidant (70 km d'Alger), les mordus ont fini par... démordre, dépeuplant copieusement Zemmouri. Il ne leur reste désormais qu'à formuler de toutes leurs forces sa réouverture, car faut-il le rappeler bien d'eau aura coulé sous les ponts et la gestion financière de la SCHPM a connu une énorme saignée, aboutissant à une asphyxie générée par l'inconscience de certains directeurs généraux qui l'ont menée là où elle est et les pratiques maffieuses d'alors qui consistaient à insérer des tickets gagnants remplis une fois le résultat officiel de la course annoncée. Cette manœuvre odieuse et connue notoirement de tous les turfistes, devenus par incongruité des circonstances le dindon de la farce, a fait dire au ministre de tutelle (MADR) un jour et publiquement que « la SCHPM est une société de voleurs », déclaration reprise par la presse. Il n'en fallait pas davantage pour que les principaux bailleurs de fonds, les pronostiqueurs en l'occurrence, se mettent en quête d'autres sources de paris,… laissant l'organisateur historique sur les rotules. La confiance entre ces deux partenaires indissociables du turf fut scellée de nouveau, mais au prix fort ! Des garanties strictes quant à une plus grande moralisation des mœurs de la société des courses hippiques, avancées préalablement, ont permis le retour en masse des adeptes des « sensations fortes » et un début d'embellie financière a facilité l'importation de chevaux de course, vendus aux propriétaires désireux de garnir leurs écuries. Cette opération commerciale, rejetée plusieurs fois avec l'onction de la tutelle, a été une salutaire bouffée d'oxygène, car les effectifs des chevaux compétiteurs ont connu une saignée due à une kyrielle de considérations sur lesquelles il serait oiseux de s'appesantir. En dépit de ces efforts, force est de reconnaître que l'Algérie avec 862 sujets réservés aux pistes (389 pur sang arabe, 255 pur sang anglais, 91 pur sang anglais importés, 66 trotteurs français et 61 arabes barbes) demeure relativement distancée par la Tunisie (1000 chevaux pour 2 hippodromes), le Maroc (1500 chevaux pour 2 hippodromes) et copieusement étouffée par la France avec des 15 000 chevaux de compétition et des dizaines d'hippodromes. Qu'à cela ne tienne ! L'indifférence des hommes Les solutions de rechange existent et pour que la SCHPM « divorce » d'avec la marasme qui l'englue dans ses difficultés routinières une bonne fois pour toutes, il est impératif que l'hippodrome du Caroubier, qui a abrité en juin dernier un mémorable grand prix du président qui a enregistré la présence du président de l'APN, des membres du gouvernement, des représentants du corps diplomatiques, des invités de marque et une foule estimée à quelques dizaines de spectateurs, après avoir connu un lifting de fond en comble, puisse reprendre ses activités et relancer la prise des enjeux sur l'étranger, prohibée jusqu'à présent par l'ordonnance citée-ci-dessus. Pour la petite histoire, lors du GP du président, le ministre, le Dr Saïd Barkat, a déclaré : « Je suis plus que content que le champ de courses du Caroubier reprenne vie », relayé par M. Djiar, ministre de la Jeunesse et des Sports : « Un cadre idéal pour ce genre d'activité », avant que M. Ghlamallah, ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, ravi par la qualité du spectacle, ne fasse part de son bonheur « de revenir un peu aux sports populaires liés au cheval ». Côté invités étrangers, ces derniers n'ont pas manqué d'éloges à l'endroit de l'hippodrome : « Un beau champ de courses » (François Fortilio Conté-Français) ; « un hippodrome de grande classe » (Mme Tamarra Papiccio - Italienne) ; « l'hippodrome du Caroubier est magnifique et au cœur d'Alger, c'est d'un grand apport pour la société des courses algérienne et pour le monde du cheval » (M. Concetto Mazarella, Italien) ; « un hippodrome magnifique » (M. Michel, France Telecom, Français) ; « Le Caroubier, un champ idéal » (A. Muzzi, jockey italien) ; « Je suis très contente que ce très grand hippodrome ait rouvert les portes. C'est ici que j'ai appris dans la jeunesse à aimer le cheval et le site n'a rien perdu de sa beauté » (Mme Ance Bourdette, Française) ; « C'est avec émotion que je me retrouve ici. Je vis le temps présent dans cet hippodrome du Caroubier dans une ambiance grandiose », (M. Dedigon, ancien jockey au Caroubier, Français) ; « Un très beau souvenir pour moi et je découvre ainsi la beauté d' Alger, la capitale, et ce magnifique hippodrome du Caroubier » (Jean-marie Sanchez, jockey, Français). Comment, après tous ces superlatifs flatteurs, le Caroubier, qui demeure ce temple dédié au cheval, soit livré à l'outrage de la nature et vermoulu par l'indifférence des hommes qui, paradoxalement, une fois approchés, vantent la splendeur et l'utilité publique de l'édifice pour le balancer aux bassesfosses de l'oubli, dès les talons tournés ? Tout le monde sait les immenses difficultés qui rongent le secteur du cheval noble, animal loué par le Saint Coran, par le Prophète Mohammed (QSSSL), composante essentielle de la culture arabe et musulmane, considéré par l'humanité comme sa plus noble conquête. A nos jours, il continue à broyer son... foin noir et n'en finit pas de payer dans son existence même la triste rançon de l'indifférence cruelle des hommes à son égard. Réunissant l'unanimité autour de la nécessité absolue de le rouvrir le plus vite possible, le Caroubier représente une véritable mine d'or pour la relance du secteur équin tristement valétudinaire et par extension bénéfique aux entités périphériques immédiates. Le Trésor public, le fisc, le fonds de la jeunesse, le FEA, l'ONDEE... Des richesses qui donnent le tournis sont enfouies et seul le sabot du cheval est à même de les déterrer pour une prospérité durable. Le Caroubier n'est pas à figer seulement dans un contexte de réunions hippiques périodiques. Ce sont des hectares entiers à offrir aux habitants d'Alger et d'ailleurs dans un cadre de détente familial et convivial. On peut assister à des courses de chevaux, faire des tours à dos de poney à ses enfants, pique-niquer en famille ou effectuer un jogging dans un site enchanteur vivifié par l'iode marin que dégage généreusement une mer à un jet de pierre, organiser des spectacles à l'air libre... en attendant l'activité en nocturne ! Ça, c'est la cerise sur la tarte ! En attendant, toutes les parties que nous avons questionnées ont répondu à l'unisson : oui au retour du Caroubier, sans aucune note d'hésitation. Et la fiesta mémorable vécue le 21 juin dernier lors du grand prix du président est là pour donner entièrement raison aux tenants de sa réouverture. Mais qu'attend-on pour le faire ? Et dire qu'il a failli servir d'assiette pour la future Grande Mosquée d'Alger.