Si le nom de Cuba se confond souvent avec son leader charismatique Fidel Castro ou avec la production de sucre, l'ambassadeur cubain en Algérie, Roberto Blanco Dominguez, nous fait découvrir dans cet entretien un pays doté d'une économie largement diversifiée comme les services, le tourisme, la production des médicaments et l'industrie du bâtiment. Mais Cuba, c'est aussi une relation bilatérale légendaire avec l'Algérie dont l'accord remonte au 13 octobre 1962. Aujourd'hui, Cuba est en train de construire en Algérie quatre hôpitaux ophtalmologiques qui seront implantés dans le Sud et les Hauts-Plateaux, en sus d'une coopération dans les secteurs des ressources en eaux et du BTP. Son Excellence avoue qu'il reste persuadé que beaucoup de choses se feront en matière de coopération industrielle, car la promotion des échanges Sud-Sud fait partie de la politique des deux pays. Commençons, si vous le voulez bien, par un état des lieux de l'économie cubaine qui semble éprouver des difficultés à s'adapter à la mondialisation... Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'économie cubaine avance et se consolide chaque année davantage. Même si Cuba continue à être un grand producteur de sucre, son économie ne dépend plus comme par le passé exclusivement de ce produit. L'économie cubaine est aujourd'hui basée sur l'exploitation de services tels que le tourisme. Il est bon de savoir que Cuba a reçu cette année plus de 10 millions de touristes étrangers. Outre la production de liqueurs de qualité, Cuba est également devenu un grand producteur de médicaments génériques et de vaccins dont une grande partie est exportée. L'industrie du bâtiment et des matériaux de construction se modernise dans l'objectif de prendre en charge un programme quinquennal de construction d'un million de logements. Cuba est également en train de diversifier son agriculture dans le but d'atteindre l'autosuffisance alimentaire, même si la canne à sucre et le tabac destinés à l'exportation continuent à bénéficier d'une attention particulière.Notre pays, qui n'a pas de pétrole, utilise de plus en plus les biocarburants tirés de la canne à sucre. Près de 50% de ses besoins énergétiques proviennent des biocarburants et nous espérons aller encore plus loin dans les années à venir. Je n'oublierai pas le know how, notamment dans les domaines des technologies de l'information et de la communication. L'université des technologies nouvelles de La Havane dispense un enseignement de qualité en informatique à plus de 6000 étudiants. Cuba produit aujourd'hui elle-même les logiciels dont le pays a besoin. Tout cela pour vous prouver que l'économie cubaine est largement diversifiée et qu'elle enregistre d'importantes avancées dans de nombreux domaines, y compris dans des activités de pointe comme l'informatique et la recherche médicale par exemple. Cuba a longtemps vécu et continue à vivre sous embargo, notamment de son puissant voisin américain. Quelles sont, selon vous, les conséquences les plus graves dont la société cubaine a le plus pâti ? Le blocus américain a quelque chose de criminel en ce sens que ce sont surtout les femmes et les enfants qui ont besoin de médicaments qui en ont le plus souffert. La chute de l'URSS avec laquelle nous réalisions plus de 80% de nos échanges commerciaux a rendu le blocus encore plus insupportable, car cela nous oblige à chercher nos approvisionnements dans des pays très éloignés. Les produits importés nous reviennent ainsi plus cher, nous faisant ainsi perdre plus de 80 millions de dollars chaque année. La situation était si difficile dans les années 1990 qu'on l'appelait « période spéciale ». Mais grâce à la ténacité et à l'esprit de résistance et d'indépendance du peuple cubain, nous avons réussi à nous en sortir. L'économie mondiale a tendance à se globaliser, mais Cuba semble se tenir résolument en marge de la mondialisation de l'économie. Cuba serait-elle, selon vous, à la recherche d'une voie originale de développement économique ? Cette marginalisation par rapport à la mondialisation dont vous parlez n'est qu'une impression et, pour preuve, Cuba a reçu comme je l'avais évoqué plus haut plus de 10 millions de touristes étrangers en 2007. Autres exemples, notre nickel consommé par l'industrie mondiale, notre sucre, nos cigares, nos médicaments qui participent au commerce mondial en attendant l'arrivée d'autres produits provenant de notre agriculture et de notre industrie en plein essor. Nous avons constitué, il est bon de le savoir, des sociétés mixtes avec des entreprises canadiennes, chinoises et autres. Mais plutôt qu'une mondialisation ultralibérale, nous préférons baser notre coopération avec d'autres pays sur des principes de solidarité humaine. Un principe que Cuba applique à l'Algérie avec laquelle elle entretient de vieilles et fructueuses relations dans divers domaines… Je suis bien content que vous me posiez cette question qui me permet de rappeler les liens de solidarité qui unissent depuis très longtemps l'Algérie et Cuba. Nous sommes effectivement en train de célébrer le 45e anniversaire de notre relation avec l'Algérie reposant sur un accord que nous avons signé le 13 octobre 1962. Mais nos relations existaient en réalité bien avant, du temps de votre lutte de libération à laquelle nous avions participé, bien que modestement, par l'aide à l'armement notamment. En 1963 déjà, l'Algérie était notre premier partenaire en termes d'aide médicale. Ce sont des liens très étroits qui nous unissent et nous ferons tout pour les développer encore plus. Notre président a toujours entretenu d'étroites relations avec les chefs d'Etat algériens. L'abandon de l'idéologie socialiste par l'Algérie n'est-il pas de nature à changer cette relation privilégiée que Cuba entretient avec notre pays ? Pas du tout. On a été clair dès le départ, chaque pays ayant le libre choix de sa politique et de ses gouvernants. Nous croyons aux relations basées sur le respect mutuel et c'est ce qui a toujours caractérisé notre coopération. Deux pays peuvent avoir des visions idéologiques différentes, mais peuvent très bien s'entendre sur des principes de solidarité humaine. Et à ce titre, nous sommes en train de construire en Algérie quatre hôpitaux ophtalmologiques qui seront implantés dans le Sud et les Hauts-Plateaux où les besoins en soins de cette nature sont plus importants que dans les autres régions du pays. Le premier de ces hôpitaux, situé à Djelfa, sera livré en février prochain et les trois autres dans le courant de l'année 2008. Ces hôpitaux dotés d'équipements de pointe auront une grande capacité en matière d'interventions chirurgicales dans ces zones reculées. La coopération de Cuba est également présente dans le secteur sportif avec la mise à disposition d'entraîneurs et de médecins au profit des équipes sportives nationales devant prendre part à des compétitions internationales dans diverses disciplines. Notre coopération couvre de nombreux domaines parmi lesquels on peut citer les ressources en eaux, le BTP. Nous travaillons à promouvoir et à diversifier encore davantage nos relations économiques à travers des rencontres comme celle des hommes d'affaires des pays non-alignés qui s'est tenue à La Havane et celle qui regroupera en octobre prochain des hommes d'affaires algériens et cubains. Je suis persuadé que beaucoup de choses se feront en matière de coopération industrielle, car il y a de nombreuses choses que Cuba sait faire et que l'Algérie ne sait pas, de même que Cuba trouvera en Algérie ce qui lui manque. La promotion des échanges Sud-Sud fait en tout cas partie de la politique de nos deux gouvernements. Le sort de Cuba semble être scellé à celui de son leader charismatique Fidel Castro. Un changement à la tête du régime est-il de nature à déstabiliser, comme le craignent de nombreux observateurs, la société cubaine ? La stabilité et l'avenir de Cuba sont totalement garantis. Nous sommes un pays fort avec une conscience politique forte et un patriotisme très solide propres aux pays qui font depuis longtemps l'objet de menaces. Durant la période de maladie de Fidel Castro qui l'a tenu provisoirement à l'écart de la direction de l'Etat, il n'y a pas eu les répercussions que beaucoup redoutaient sur le fonctionnement du pays. La direction du parti, le gouvernement et le vice-président, Raoul Castro, ont assumé la direction provisoire de l'Etat. Pourquoi le frère de Fidel Castro peut-on se demander ? Eh bien, tout simplement parce que Raoul Castro a, en termes de conduite de la Révolution cubaine, une histoire semblable à celle de son frère. Il faut savoir que bon nombre de dirigeants du parti et de l'Etat cubains sont encore jeunes et en mesure de diriger, pour la simple raison qu'ils ont participé très jeunes à la Révolution cubaine.