Boudjemaâ Haïchour, le ministre de la Communication, est venu, samedi dernier, souhaiter aux journalistes une bonne fête de l'aïd avec de la limonade, du thé et du café. Malheureusement, il n'avait pas en main que ces signes d'une rencontre conviviale destinée à empreindre de sérénité les relations futures de la presse avec le pouvoir. En fait, sur la table, où était offerte la limonade, M. Haïchour avait également mis en évidence un gros projet de code de l'éthique et de la déontologie qui augure des jours sombres pour le champ médiatique. Faisant un constat de carence du Conseil de l'éthique, le ministre estime que la charte sur la base de laquelle fonctionne cette organisation « ne peut pas garantir, à elle seule, les fondements qu'elle défend. Un code est donc plus approprié... » Ce projet vient évidemment à la rescousse de la nouvelle mouture de la future loi de l'information qui va remplacer celle de 1990. Cette dernière, selon les premiers textes dont a eu à prendre connaissance la profession l'an dernier, sera, elle aussi, plus sévère que celle de 1990. En somme, avec les dispositions déjà très contraignantes du code pénal adoptées par l'APN du temps du gouvernement Benflis, l'arsenal législatif prend les allures d'une véritable dissuasion qui ne manquera pas de contraindre les responsables des rédactions et des publications à voir dans n'importe quel écrit un motif de problèmes pouvant porter gravement atteinte à leur journal. M. Haïchour précise sur quels griefs repose sa pensée : « Pendant une période s'étalant sur plus de cinq ans (on remarquera que cela coïncide avec le premier mandat du Président), des erreurs graves d'éthique et des déviations, non moins graves par rapport à la déontologie, ont été observées quotidiennement. » (El Moudjahid du 19/20 novembre 2004). Le reproche se précise et est donc lié au mandat du président de la République. Ce dernier, qui n'a jamais été favorable à la liberté d'expression que devant l'opinion internationale, a ajouté un tour de vis supplémentaire à la presse étatique. Et c'est de là justement que vient l'idée de ficeler un code d'éthique et de déontologie qui enverra en réalité aux oubliettes l'organisation mise sur pied par les journalistes. Non content de réglementer de façon drastique la collecte et la diffusion de l'information et conforté par les résultats du 8 avril 2004 ainsi que par les fautes commises par des journalistes et surtout leurs responsables, le pouvoir compte aller carrément vers l'étouffement de toutes les libertés en interdisant tous les espaces d'expression et de communication en s'érigeant en chien de garde des consciences. En effet, en imposant un code de l'éthique sous la forme d'un texte législatif, le pouvoir compte se substituer aux journalistes pour juger leur conscience en plus de leurs écrits. Il n'y a qu'en Algérie où l'on puisse imaginer une démarche aussi inique que ridicule. Le pouvoir peut-il imposer un code de l'éthique et de la déontologie aux médecins, aux architectes ou aux notaires ? Les journalistes peuvent-ils encore, quelle que soit la profondeur de leurs divergences, se mobiliser contre un projet aussi liberticide ? Les autres professions, les syndicats, ainsi que ce qui reste de la société civile et politique, peuvent tenter de s'opposer à ce énième verrou que le régime de Bouteflika pousse derrière les espaces de liberté.