En roulant les uns sur les autres, les grains de sable se cognent. Lors de cette collision, de l'énergie est transmise sous forme de vibrations. Le phénomène est comparable à celui des ondes émises lors d'un tremblement de terre. Devinette. Quel est le son, grave et harmonieux, proche de celui d'un bimoteur à basse altitude, aussi puissant (à la source) que celui du marteau-piqueur, soit 110 décibels, qui vibre entre 60 et 110 hertz et s'entend jusqu'à 10 kilomètres parfois pendant plusieurs minutes ? C'est celui généré par le sable dans le désert. Parmi les scientifiques qui cherchent depuis longtemps à percer le mystère du chant des dunes, Bruno Andreotti, maître de conférences à l'Université Denis-Diderot (Paris 7) et chercheur au Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes, a mis au point, avec son équipe, un début de théorie. « Nous avons effectué des mesures sur le terrain, au Sahara Atlantique, qui ont permis de caractériser l'émission de sons, puis fait des expériences au laboratoire permettant de comprendre les particularités de la propagation d'ondes acoustiques dans le sable », nous a-t-il expliqué. Car ce son si particulier n'est pas systématique : il se produit très précisément lorsqu'une avalanche coule le long des faces très pentues, à l'arrière des dunes. Dès que l'avalanche s'arrête, le son s'arrête. « Ce qui produit le son dans l'air, ajoute-t-il, c'est la vibration de la surface du sable, qui se comporte comme la membrane d'un haut-parleur. En effet, les mesures montrent que la surface de la dune vibre périodiquement, à la fois au niveau de l'avalanche et en dehors, là où le sable ne s'écoule pas vers le bas de la pente. » C'est ainsi qu'un début de théorie a pu être avancé : « Les grains, sous l'avalanche, coulent en faisant des collisions à une fréquence qui ne dépend que de la taille des grains. En clair, chaque grain pour couler doit passer par-dessus les autres. » A chaque fois qu'une collision se produit, une partie de l'énergie du grain provenant de la gravité est transmise sous forme de vibration. « Ils excitent ainsi des modes acoustiques de surface. En retour, ces oscillations globales (hors et dans l'avalanche) tendent à synchroniser les collisions avec la vibration elle-même. Ces vibrations proviennent en fait d'ondes élastiques, similaires aux ondes sismiques émises pendant un tremblement de terre, mais localisées à quelques centimètres sous la surface du sable : en profondeur la dune ne vibre pas. » Une interprétation qui diverge de celle d'un autre chercheur de Paris VII, Stéphane Douady qui a travaillé sur la question à l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle. Pour lui, l'onde élastique se propage dans le milieu où elle se crée, donc, en épaisseur. « Nos contributions au problème ont été différentes, explique Bruno Andreotti. Nos collègues du laboratoire ont reproduit, pour la première fois, le phénomène à petite échelle au laboratoire et ont mis en évidence l'existence d'un seuil pour que le phénomène se produise. Il est vrai que l'explication qu'ils proposent repose sur une résonance à l'échelle de l'avalanche, alors que notre explication ne nécessite pas de résonance. Je crois qu'ils pensent plutôt à des ondes de mouvement des grains qui se propageraient verticalement dans la couche mobile. Ces autres ondes, non sonores, restent pour l'instant mystérieuses à mes yeux et n'ont pour le moment pas été observées. Les travaux des différents laboratoires devraient faire la lumière dans les mois qui viennent sur les dernières zones d'ombre qui auréolent le chant des dunes… »