L'émotion éprouvée tout au long du film et celle dégagée par un Will Smith qui vient de perdre ce qu'il avait de plus cher : sa famille. Plus tard, ce sera au tour de sa chienne de mourir après avoir été sa fidèle amie. L'histoire : la manipulation de la génétique a donné lieu à une pandémie qui a rayé toute l'humanité. Enfin presque, puisque Robert Nerville est, au demeurant, le dernier survivant. Une ville déserte, un bitume craquelé par la végétation, des véhicules abandonnés et des cerfs comme principaux habitants, du moins le jour. C'est par cette vision chaotique et oppressante que démarre le film. On ne racontera pas toute l'histoire, il suffit juste de préciser que ceux qu'on croit morts sont en fait devenus des créatures de la nuit, des zombies mutants. Et que Robert Nerville devient un héros. On pourrait évidemment voir ce film sous l'angle propagandiste : les Etats-Unis sauveurs du monde à travers l'héroïque personnage, un peu comme Apocalypse Now, mais ce serait vraiment déprimant. De plus, à force d'être servis par ce cliché, on finit par passer outre et prendre ce genre d'histoire à un autre degré. Bref, dans le cinéma, il y a d'abord le cinéma ! C'est-à-dire, tout le plaisir, l'émotion, la fraîcheur et même la peur que peut nous apporter un bon film, valent le détour. Même lorsqu'il ne s'agit pas du meilleur produit de l'année, il est peut être parmi les meilleurs. D'autant plus lorsqu'il est rudement bien fait. Le réalisateur Francis Lawrence avait déjà démontré son talent pour concrétiser à l'écran un univers post-apocalyptique avec Constantine. Il est vrai que lorsqu'il s'agit de monstres et de zombies, on aime ou on n'aime pas. Mais dans Je Suis une légende, les morts-vivants n'ont rien de bien extraordinaire. Ils sont tout simplement comme on se les imagine : agressifs et effrayants à souhait. Au départ, il s'agissait d'un roman de l'écrivain américain Richard Matheson, paru en 1954. œuvre phare de la littérature science-fiction, l'adaptation au cinéma de Je suis une légende (I am a legend) a été faite à deux reprises : The Last man on earth porté par Vincent Price en 1964, puis Le Survivant de Boris Sagal en 1971, emmené par Charlton Heston. L'idée de reporter cette histoire au grand écran remonte au milieu des années 90. Ridley Scott et bien d'autres réalisateurs se sont succédés vainement en 2005, une bonne équipe est réunie pour concrétiser le projet. Elle est composée par le réalisateur Francis Lawrence (Constantine) et le scénariste Akiva Goldsman (Un homme d'exception) qui souhaitaient orienter le long-métrage dans la veine de Le Survivant, dont il se dit fan, tout en se basant sur une première ébauche signée Mark Protosevich. Pour interpréter le personnage de Robert Neville dans cette nouvelle transposition du roman, les noms d'Arnold Schwarzenegger, Mel Gibson, Nicolas Cage, Tom Cruise, Kurt Russell ou encore Michael Douglas ont été évoqués. C'est finalement Will Smith, très motivé par le projet, qui a obtenu le rôle. Pour les besoins du personnage, le comédien s'est astreint à un régime strict, perdant une dizaine de kilos en quelques mois, ainsi qu'à un entraînement très dur, afin de se mettre dans la peau du personnage physiquement et mentalement. Pour préparer le film, Will Smith et l'équipe ont rencontré certains scientifiques d'un Centre de contrôle des maladies (CDC), chargés de l'étude des plus redoutables virus au monde. Des entretiens qui leur ont non seulement permis de valider la véracité de leur scénario (un rétrovirus échappe au contrôle de ses créateurs), de mettre en place une scène d'évacuation de New York crédible basée sur les procédures de quarantaine validées par le CDC, mais également de former Will Smith aux gestes scientifiques. L'action du roman se déroule à Los Angeles, l'équipe a préféré « délocaliser » le tournage à New York, afin de renforcer l'impact dramatique des scènes de ville-fantôme. Les images de synthèse ont permis à Francis Lawrence de concrétiser sa vision apocalyptique de New York en effaçant toutes les traces de vie : passants, voitures, avions, reflets dans les fenêtres... Et ces plans apportent quelque chose de vraiment troublant au film. L'une des particularités de Je suis une légende : des chiffres spectaculaires ! D'abord les 5 millions de dollars réservés à une seule scène : celle de l'évacuation et de l'explosion du pont de Brooklyn. Une séquence tournée durant six nuits à New York (la scène la plus chère jamais tournée dans la « Grosse Pomme »). Puis, la présence de plus de 1000 figurants et de 150 gardes nationaux. Enfin, l'accord de 14 organisations officielles ! La réalisation du film, pourtant sans un grand nombre de dialogues, a nécessité quelques sept mois de tournage et huit mois de postproduction. Le tout orchestré dans la plus grande discrétion pour éviter que des informations sur le projet ne soient révélées. Le film étant très visuel, une grande liberté a été laissée à Will Smith et au réalisateur Francis Lawrence pour improviser des séquences et des plans, conduisant à des réécritures du scénario au fil du tournage. D'ailleurs, parmi les différences entre le roman original et cette adaptation : l'action transposée de Los Angeles dans les années 1950 à New York en 2012 ; l'origine du virus, créé ici par l'homme ; le métier de Robert Neville, ici déjà rompu aux techniques scientifiques ; l'apparence des infectés, passés de vampires dans le roman à mutants à l'écran ; le final, qui inverse l'intention de Richard Matheson ; et une éventuelle suite, selon des bruits qui se répandent de plus en plus sur le web. Et parmi ces libertés narratives, des clins d'œil aux spectateurs : en plein New York, l'affiche d'un improbable Batman vs. Superman, projet, un temps commandé, par la Warner à Wolfgang Petersen, une spéciale dédicaces à Shrek dont Robert Nerville connaît par cœur les répliques ; et une grande pensée pour Bob Marley, musique et visions confondues, dont une anecdote qui devrait être intégrée dans les manuels scolaires du monde entier...