Hollywood, où la mode est aux biopics, semble très attirée par la vie de personnages célèbres. Après l'adaptation cinématographique de la vie du chanteur Johnny Cash dans Walk in the Line et celle du rappeur 50 cent dans Réussir ou Mourir, c'est l'histoire d'un écrivain marquant des années 1950 qui nous est proposée dans un film surprenant. « L'échec est le piment qui donne sa saveur au succès. » Truman Capote Adepte des salons de la jet society new-yorkaise des années 1950, Truman Capote était connu pour ses brillantes reparties. Il fut pour la génération de l'après-guerre un modèle, à l'instar de Scott Fitzgerald au cours de la période qui avait suivi la Première Guerre mondiale. Tous deux ont partagé, durant leur jeunesse, le goût du succès et de la gloire avant de découvrir le goût amer de sujets qui épuisent votre insouciance de façade. Ce fut Tendre est la Nuit pour Fitzgerald et De Sang-froid pour Capote déjà transposé au cinéma sous le même titre par Richard Brooks en 1967 et à la télévision par Jonathan Kaplan en 1996. Après avoir connu la reconnaissance littéraire avec ses premiers écrits, comme pour son premier roman Autres voix, autres chambres écrit à 24 ans, où ses nouvelles dont la plus connue est le Petit déjeuner chez Tiffany (adapté par Blake Edwards sous le titre de Diamants sur Canapé), Truman Capote tombe soudain sur un fait divers auquel The New York Times avait consacré quelques lignes seulement. L'envie lui prend alors de demander à son journal The New Yorker de l'envoyer voir, loin des salons où l'on cause, ce qui pouvait bien se cacher derrière le meurtre sauvage de quatre membres d'une famille de fermiers du Kansas. Avec à l'évidence, le désir de comprendre l'Amérique profonde. Le résultat, ce sont bien sûr ces cinq cents pages d'un roman magnifique que Truman Capote a mis huit ans à achever sur un style qu'il qualifiera un peu vite de « roman de non-fiction ». Car enfin, où se trouve la frontière entre réalité et fiction, sinon dans la conscience aigüe transmise par l'auteur de deux Amériques qui coexistent sans jamais se rencontrer : d'un côté celle des salons de Tiffany et de l'autre celle des « terres plates et sans relief » où bourreaux et victimes se partagent le même tragique destin. C'est grâce au remarquable livre de Gerald Clarke, Capote : une biographie et dans lequel le chercheur détaille la période au cours de laquelle Capote a enquêté avant de rédiger ce pur chef-d'œuvre littéraire, que nous pouvons aujourd'hui mieux comprendre les déchirements et cheminements qui ont mené à l'achèvement du livre. Quarante ans après la publication de Of cold Blood, Dan Futterman livre, sans doute à l'initiative de l'acteur producteur Philip Seymour Hoffman qu'on avait vu triompher dans le Talentueux Mister Ripley, une très belle adaptation pour le cinéma de la biographie de Capote. Le producteur/acteur (Philip Seymour Hoffman), le scénariste (Dan Futterman) et l'excellent réalisateur (Benett Miller), plutôt que de raconter la vie tumultueuse d'un écrivain gay extraverti, ont choisi de se concentrer sur les six longues années pendant lesquelles Capote a mené son enquête avant de publier son chef-d'œuvre. Capote part au Kansas accompagné de son ami d'enfance Harper Lee, descendante du fameux Général Lee et qui recevra l'année suivante le prix Pulitzer pour son unique roman, Ne Tirez pas sur l'Oiseau moqueur, magistralement adapté à l'écran en 1962 par Robert Mulligan sous le titre Du Silence et des Ombres. Capote sera plus long à accoucher de son œuvre, car il faut d'abord gagner la confiance des habitants de la petite ville. Il trouvera un allié de taille en la personne de l'enquêteur Alvin Dewey. Ce dernier l'autorisera à rencontrer, dès leur arrestation à Las Vegas, les deux présumés coupables, Perry Smith et Dick Hickok. Une fois renvoyés au Kansas et condamnés à mort, Capote paye le chef de la prison pour s'assurer un contact permanent avec les deux tueurs. Commence alors une longue descente dans les dédales de la création artistique. « L'art, dira-t-il plus tard, est fait d'un seul détail bien choisi. » Certes. Mais jusqu'où peut aller un écrivain pour arriver à ses fins ? Où s'arrête l'art et où commence l'indignité. Fitzgerald pensait qu'un écrivain doit savoir cohabiter avec un sens obscur de l'indignité, que cela fait partie du travail du démiurge. Truman Capote va jusqu'à payer des avocats pour retarder l'exécution des deux hommes afin d'obtenir d'eux le fin mot de la vérité. Obstiné et insistant, il manipule les condamnés qui pensent que la publication du livre et la célébrité de son auteur vont les sauver. De son côté, Truman Capote sait parfaitement que la pendaison des deux hommes sera leur dernier acte dans la vie en même temps qu'elle fournira la matière à son dernier chapitre. Les choses se compliquent lorqu'on sent que l'auteur est vraiment attiré par le plus intelligent des deux tueurs. N'arrivant pas à lui faire avouer le meurtre de sang-froid, il prend ses distances et assiste impassible au rejet de leur dernier recours, ce qui pousse son jeune personnage à avouer. La mort peut alors être prononcée et Truman Capote assistera à la pendaison pour la relater à la fin de son ouvrage. Cynisme ? Pas tant que cela. L'art a ses raisons... On devine que le brillant écrivain sortira émotionnellement brisé d'une épreuve dont il ne se relèvera jamais plus. Que serait cette subtilité du récit sans un scénario modèle et sans l'exceptionnelle interprétation de Philip Seymour Hoffmann ? Ce dernier donne corps et expression à l'ambiguïté, parfois à la perfidie, souvent à l'indignité de l'auteur en quête de Sa vérité. Pour compléter le tout, Bennet Miller a signé là une réalisation pleine de subtilité et éloigné des standards hollywoodiens actuels. De Sang-froid était sa première grande mise en scène cinématographique. Je ne doute pas qu'il fasse parler de lui et de son talent dans un proche avenir.